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CRITIQUE: "LES SEPT DE CHICAGO"

CRITIQUE: "LES SEPT DE CHICAGO"

En regardant "Les Sept de Chicago", je me suis tout de même fait cette réflexion. La fascination envers les procès. Netflix ne propose rien d’original là-dedans et faire une liste exhaustive de film retraçant des parcours judiciaires avec plus ou moins de réalisme, de drame, de fantaisie, d’invention ou bien en collant le plus possible au réel, romançant des histoires d’une gravité sans pareille, est inutile. Il y a (en France, en tout cas) une fascination pour les procès, pour les histoires morbides que ceux-ci trainent dans leurs sillages. Une obsession peut-être, une forme de jubilation à voir le coupable se faire punir, une émotion à rechercher dans la détresse des victimes, à observer d’un œil circonspect le manège des avocats pour défendre parfois l’indéfendable. Léger fun fact, en écrivant cet article, j’ai fait un petit détour par l’émission "Faites entrer l’accusé" et je fus, moi qui ne m’intéresse absolument pas à la télévision, extrêmement surpris de voir que non seulement cette émission est toujours diffusée (plus ou moins) en continu depuis 2000, mais qu’en plus elle amasse des parts d’audience toujours incroyable, atteignant régulièrement le million de téléspectateurs.

 

Calmons à présent le jeu, il n’est pas question aujourd’hui de traiter d’un fait divers morbide, mais bien d’un événement plutôt majeur dans l’ère 60’s des États-Unis, judicieusement placé en pleines élections présidentielles au pays de l’Oncle Sam, avec les exactions de Trump, le mouvement Black Lives Matter... En France, on retient 1968 pour les très importantes grèves étudiantes et manifestations de grande ampleur en général (on parle de plus de 10 millions de personnes). Aux États-Unis, le contexte de ces années-là est également tendu, ne serait-ce que par trois évènements : les assassinats de JF Kennedy (1962), Malcolm X (1965) et de Martin Luther King (1968). En rajoutant à cela le conflit au Viêt Nam qui s’enlise et devient de plus en plus impopulaire dans le pays, l’organisation de la Convention Nationale Démocrate de 68 à Chicago se vit secouer par un nombre extrêmement important de manifestations, contre la guerre donc, mais ciblant tout aussi bien la politique de Lyndon B. Johnson, le tout attisé par la répression policière impulser par Richard Daley (maire de Chicago), celui-ci ayant mobilisé une véritable force armée qui n’a pas manqué d’échauffer lourdement les esprits.. Le contexte posé, les évènements dramatiques se déroulent et huit personnes passeront sur le banc des accusés en 1969, sous le motif d’incitation à la révolte et de conspiration (entre autres). Ou plus exactement sept personnes (les fameux Chicago Seven, donc) et un huitième qui se retrouvera jugé séparément. Juger et réprimer cette « gauche contestataire », tel semble être le but de ce procès mondialement médiatisé.

 

Passons rapidement sur les cas des acteurs Noah Robbins (Lee Weiner) et Daniel Flaherty (John Froines) dont l’impact sur le film sera dérisoire. Les cinq autres Chicago Seven seront des personnalités reconnues de la vie politique américaine, comptant deux membres du Students for a Democratic Society (Tom Hayden/Eddie Redmayne et Rennie Davis/Alex Sharp), les fondateurs du mouvements hippie (Abbie Hoffman/Sacha Baron Cohen et Jerry Rubin/Jeremy Strong) et le militant pacifiste et non-violent David Dellinger/John Carroll Lynch. Des personnalités extrêmement différentes (parfois grossièrement soulignées) qui vont devoir travailler de concert. À leurs côtés, mais jugé seul en l’absence d’avocat (et donc de droit à la parole) donc, l’un des fondateurs des Black Panthers Bobby Seale/Yahya Abdul-Mateen II. Autour d’eux, d’autres acteurs de belle envergure tel Joseph Gordon-Levitt, Frank Langella, Mark Rylance ou John Doman, ainsi qu’une petite apparition de Michael Keaton. Les protagonistes sont en place, le contexte est posé, qu’en est-il de l’exécution ?

CRITIQUE: "LES SEPT DE CHICAGO"

En maître d’œuvre, Aaron Sorkin connaît bien le sujet du film de procès ou aux fortes consonnances sociales, ayant participé au scénario de, entre autres, "Des Hommes d’Honneur", "Le Président et Miss Wade" ou "La Guerre selon Charlie Wilson". Ayant également accompagné David Fincher ("The Social Network") et Danny Boyle ("Steve Jobs"), il est passé à la réalisation seulement en 2017 avec "Le grand jeu". D’abord prévu au cinéma, ce projet de longue date finit par atterrir, cause de pandémie, évidemment, dans les bagages de Netflix. Dans les faits, Sorkin possède donc le bagage nécessaire pour une entreprise de cette envergure. De multiples personnages aux traits bien définis, une possibilité de parlementer à foison et de lancer des joutes verbales redoutables. Mais dans la pratique, comment parvenir à rendre un film de gens assis intéressant ? Je grossis le trait, mais de ce point de vue-là, la mise en scène de "Les Sept de Chicago" est exactement comme on pouvait l’imaginer : de multiples allers-retours dans le temps pour mettre en parallèle le procès, les dires qui le compose et l’action en question illustrée dans le passé. Clairement, c’est dynamique, mais ce n’est pas pour sa mise en scène que le film va briller tant celui-ci est dans une scolarité régulièrement peu intéressante. Mais, quelque part, nous ne sommes pas là pour voir une révolution cinématographique, mais un éclaircissement sur un moment d’importance de l’histoire Américaine. Le récit, bien plus que le film en lui-même, est important et essentiel. Dans un contexte d’époque où ceux qu’on appelle souvent injustement des minorités essayent de faire valoir leur droit d’être simplement humain au même titre que les autres.

 

Et c’est une autre paire de manches encore. Sorkin aime parler, il aime les longs plans de discussion et ça fait régulièrement mouche quand il est accompagné d’un cinéaste qui sait mettre ces moments de longueurs en images. Ici, c’est mi-figue et si l’histoire suit son cours librement, les moments de flottement sont quand même un brin trop pressant, cassant légèrement le rythme et sanctionnant l’inattention. Les personnages sont nombreux et après une introduction très efficace (le génie de souligner que des gens ayant le même but n’ont pas du tout la même manière d’y parvenir), il faut très vite retenir qui est qui et qui a joué quel rôle dans les émeutes de la ville, sous peine de se retrouver quelques peu perdus entre les protagonistes, les témoins et les acronymes de l’histoire.

 

Il est difficile parfois de saisir le sens que Sorkin veut donner à son film. Pamphlet contre les errements des institutions juridique déjà persuadé de la culpabilité des prévenus (la scène entre les avocats et le juge qui fera suite au ligotage de Bobby Seale en sera un bel exemple) ? Bien évidemment. Dans les faits, ce qu’il en ressort, c’est un le film se montrant très manichéen dans ses personnages, au moins autant que la réalité, naturellement, où seul le personnage de Gordon-Levitt semblera mue d’un peu d’humanité pour les Chicago Seven, là où ils seront méprisés et traités comme des sauvages par la défense (la partialité du juge est plutôt bien mise en avant, poussant cette jeunesse au silence et symbolisant la vieillesse des institutions). Mais de l’autre côté de ces quelques combats verbaux bien menés, le film pêche par excès, notamment dans sa manière de mettre la musique beaucoup trop forte pour souligner les moments de tension ou encore de rendre nombre de discussions beaucoup trop précises et jamais surprenantes. Même sans connaître les histoires, vous serez capable d’en connaître la plupart des aboutissants.

CRITIQUE: "LES SEPT DE CHICAGO"

Mais dans la plus grande des frustrations, nous constatons toujours ce même petit orgueil américain qui aime bien adoucir les phases sombres de son histoire, rendant finalement caduque la plupart des scènes d’émeutes, visuellement impressionnantes sur quelques secondes avant de retomber dans un académisme agaçant empêchant dans sa mise en scène toutes forme d’immersion. On sait la violence qu’il y a eu, on la devine, mais le film ne pousse jamais plus loin et se contente souvent d’être dans le narratif plutôt que dans le viscéral, même si l’idée de directement transvaser de la mise en place des manifestations au commencement du procès est excellente, permettant au film de pouvoir faire grimper la tension jusqu’au moment où tout a explosé ; toutefois la façon de le faire n’est que peu passionnante. Sorkin semble presque ne pas faire totalement confiance en ses capacités de metteur en scène et cela fait que le film ne parvient pas toujours à atteindre les hauteurs.

 

Mais au-delà de tout ces points discutables, il reste quelques interprétations qui ressortent du lot, notamment Sacha Baron Cohen, mille fois concernés par son rôle et qui s’éclate littéralement, souvent tête à claques, mais régulièrement magistrale dans les nuances qu’il sait mettre à son personnage, tout comme son comparse Jeremy Strong. Frank Langella est également royal, détestable au plus haut point et apposant sans forcer une autorité naturelle (et contestable) qui sied à son personnage. Mention identique à Rennie Davis, qui vole de temps à autre la vedette à un Eddie Redmayne trop simpliste dans son interprétation, ne parvenant à en sortir qu’à quelques instants trop peu nombreux (« notre sang »). Enfin, d’une douceur incroyable, bien que manquant un peu de place, John Caroll Lynch reste fidèle à son talent et demeure malgré tout une pièce essentielle du rouage.

 

"Les Sept de Chicago" reste un film un peu frustrant, traitant d’un sujet extrêmement intéressant avec un classicisme souvent irritant, sauvé parfois par quelques fulgurances et un rappel historique important, démontrant, si le doute était permis, que l’Histoire n’est qu’une suite de drames en perpétuel recommencement. Sorkin ne force rien et se retrouve piégé dans un Américanisme primaire qui empêchera finalement son film d’atteindre les hauteurs qu’il aurait largement pu titiller. Reste malgré tout un film intéressant et nécessaire, placé dans un contexte où tremblent les libertés élémentaires et où l’avenir de ce que l’on nomme encore la « Première Puissance Mondiale » se retrouve plus que jamais étiolé.

 

Exclusivement sur Netflix.

NOTE: ★★★★☆ 3,5 - 4/5

 

Remerciements à NCo (just_an_ellipsis) & Netflix France

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