Planète Cinéphile

Cette semaine

L'AUTRE SORTIE DE LA SEMAINE : "JACKY AU ROYAUME DES FILLES"

Jacky au royaume des filles

 

 

Quoi de neuf cette semaine au cinéma ? "Dallas Buyers Club" de Jean-Marc Vallée, "Minuscule" de Thomas Szabo & Hélène Giraud, "The Ryan Initiative" de Kenneth Branagh, "Nymphomaniac - Volume 2" de Lars Von Trier, "Tonnerre" de Guillaume Brac, "I, Frankenstein" de Stuart Beattie, "Beaucoup De Bruit Pour Rien" de Joss Whedon et  "Jacky Au Royaume Des Filles" de Riad Sattouf.

 

Comédie française 'zarbi' qui sait remettre en cause le pouvoir de l'Homme, tout en réinventant la société dans laquelle il évolue, "Jacky Au Royaume Des Filles" est notre coup de coeur de cette semaine. Dans la lignée de son précédent "Les Beaux Gosses", chacun de ses films est l'occasion de se plonger dans un univers à part, réinventé mais non dénué, à la fois de cocasseries et d'esprits critiques. Ce nouveau long métrage se veut être une farce rebelle et inventive servie par des personnages grotesques, évoluant dans de vastes espaces et décors, et qui n'est pas sans rappeller de prodigieuses mises en scène kubrickiennes ("Orange Mécanique") et felliniennes ("La Cité Des Femmes") - malgré un manque certain d'ampleur scénaristique. Auteur-dessinateur, scénariste, réalisateur, compositeur ... Véritable multi-talents, Riad Sattouf est, en quelque sorte, le Stromae du cinéma francophone. Nous avons décidé de vous proposer la lecture des intentions de ce réalisateur à part, qui revient sur les grands aspects de son second long métrage.

 

JACKY LE CENDRILLON
"Jacky Au Royaume Des Filles" s’inspire d’une histoire courte publiée en 2005 dans ma série de bande dessinée Pascal Brutal, et de Cendrillon.
 La première fois que j’ai entendu ce conte, je devais avoir 6 ou 7 ans et j’habitais encore en Syrie. Comme tous les enfants, je me suis demandé : mais pourquoi est-ce que Cendrillon ne se rebelle pas contre sa famille qui la maltraite?
 Pourquoi est ce que, quand elle finit par s’enfuir, elle cherche quand même à aller au bal comme tout le monde? Pourquoi y-a-t-il plein de filles à la disposition d’un seul Prince Charmant? Pourquoi le Prince préfère-t-il Cendrillon, soumise et molle, aux demi-soeurs, qui pourtant ont l’air vachement plus vives et avec de plus fortes personnalités? 
Pourquoi Cendrillon pardonne à sa famille à la fin? Pourquoi l’histoire se finit-elle par un mariage? Quand je posais ces questions, on me répondait: mais c’est parce que c’est comme ça, c’est la vie.
 Il existe 12 000 versions différentes du conte de Cendrillon dans le monde, c’est un des contes les plus célèbres de l’humanité. J’ai donc eu envie de faire ma propre version de Cendrillon, mais en y transférant le pouvoir des hommes aux femmes, afin de voir ce qu’elle pouvait raconter sur le patriarcat et le conditionnement culturel des sexes.


LE POUVOIR DES FILLES
Quand j’étais ado, je n’étais pas ce qu’on peut appeler un mâle dominant (ou un Prince Charmant). Cela m’a donné une vision particulière des rapports sociaux humains, qui est plus celle du singe qui vit en frontière du groupe et peut bien tout observer sans en faire partie ... Evidemment, les garçons qui avaient le plus de succès étaient les plus forts et les plus beaux, et les filles aux formes les plus marquées, étaient celles qui dominaient. On ne voyait pas vraiment de filles musclées et à l’aise dans leurs corps avec de petits mecs maigres. Quel étrange phénomène dirigeait tout cela? Pourquoi donc la force physique était l’apanage des garçons et pas des filles? Certaines filles, très mal à l’aise dans leur corps, étaient pourtant bâties comme des montagnes mais semblaient molles et incapables de quoi que ce soit. Quel sortilège les retenait? Certains petits mecs maigrelets, étaient de vrais fauves, alors qu’une de ces filles grandes et molles aurait pu les balayer d’une main si elle avait été élevée pour cela. Et pourquoi donc, dans les boîtes de nuit, voyait-on des nuées de garçons danser autour de la même jolie fille, semblant rejouer le balai des spermatozoïdes et de l’ovule? Cela semblait normal à tout le monde, mais était-ce vraiment normal? La question que pose mon film n’est pas «Comment serait devenu le monde si les femmes avaient le pouvoir depuis 3000 ans?», mais plutôt «Comment nous apparaît notre monde à nous, si on intervertit les rôles?».
Dans mon film, ce sont les hommes qui sont les objets sexuels aux yeux des femmes. Michel Hazanavicius est un peu «la fille à poil du film». J’ai également tenu à ce que les hommes soient plus sensibles et doux: ils ont le droit de laisser sortir leurs émotions, ils sont «fragiles». Jacky pleure souvent, c’est un grand romantique transporté par sa sensibilité. J’ai voulu ainsi utiliser les «codes virils» des films : compétitions entre hommes, poursuites armées entre hommes, bagarres entre hommes, protection des femmes faibles et sensibles, happy end final et glorification du mariage conservateur ... En inversant tout. Jacky au royaume des filles est une comédie romantique qui questionne les apparences ...

 

 


 

BLASPHÈMERIE ET LA LANGUE
Les mots importants et autoritaires sont féminisés dans le monde de Bubunne. Par exemple «Blasphème» devient «Blasphèmerie», et les mots dégradants et ridicules son masculinisés : «Culotte» devient «Culotin» ... Il était important d’illustrer la domination sexuelle par le langage. 
J’ai voulu également un alphabet spécifique, utilisé aussi bien sur les affiches dans le film, que dans l’écriture manuscrite des personnages. Comme l’alphabet gothique, qui fait peur, l’alphabet bubunne impose une uniformité, une violence et une ambiance. Fanette Mellier, la graphiste, a travaillé autour de l’araignée, de la toile. C’était important pour la cohérence de cette société. Lorsqu’Anémone prononce le mot «couillon», il fait sourire, mais il prend également un sens terrifiant dans cette société ! Les femmes qui le prononcent s’accaparent avec fierté l’expression hautaine de leur domination. Par exemple, une des pires insultes en français canadien est «gros chien sale». Je voulais jouer sur ce relativisme de perception du langage qui peut être très comique.


JACKY LE CONSERVATEUR
Je suis très intéressé par l’adolescence et la remise en question (ou pas) des valeurs traditionnelles et familiales par les jeunes générations. C’est passionnant de voir com- ment les systèmes conservateurs œuvrent pour empêcher ces remises en question. C’est ce que vit Jacky dans cette société totalitaire. Les gens y rêvent tous de la même chose. Ils veulent tous vivre la même vie, en pensant que les quelques variantes de comportement qu’ils adoptent en font des êtres individués. Jacky lui-même est un collaborateur candide du régime. Il a les même rêves que les autres. Sa relation avec Julin, sa bonne fée qui peine à lui donner une autre vision du monde, ne lui sert à rien. Mais dès que Jacky se retrouve éjecté du système, ces valeurs de rébellion sont les seules qui vont le sauver. Et l’amener à changer la société en entier.
 La rébellion adolescente est la clé du changement et du progrès des sociétés humaines. Surtout lorsqu’elle vient remettre en cause «les vérités parentales». Jacky en est l’illustration. La colonelle, qui se révolte contre sa mère, en est une autre. Rien ne devrait nous obliger à ne pas juger nos parents. Mais comment faire quand nous vivons dans un mythe où le 4e commandement est «Tu honoreras ton père et ta mère»? Comment faire si ce sont deux salauds?

 

 



LA RELIGION ET LES VOILERIES
Dans mon film, la voilerie n’est pas différente des robes. Elle sépare les sexes et uniformise.
 L’Islam et le monde musulman font partie de ma vie et par là même, de mon imaginaire: j’ai grandi dans un village paysan sunnite, en Syrie dans les années 80 où la famille de mon père vivait de la même manière qu’au XVIIe, XVIIIe, XIXe siècle, avec quelques heures d’électricité par jour en plus. J’ai abordé ce sujet dans mon livre «ma circoncision», publié en 2004. Toutes mes tantes et cousines étaient voilées; les femmes avaient moins de droits que les hommes, qui eux décidaient de toutes choses; et oui, la majorité d’entre elles étaient heureuses de cet état de fait et le défendaient avec ardeur. Tout cela n’est pas spécifique au monde musulman! Il correspond à une organisation sociale et juridique des rapports humains que l’on trouve partout sur terre et qui s’appelle le patriarcat: l’autorité des hommes sur les femmes. C’est le sujet de mon film.


MES ACTEURS CHÉRIS
Retrouver Vincent Lacoste, Anthony Sonigo, Noémie Lvovsky, ou encore William Lebghil qui avait commencé avec moi dans des films publicitaires, m’a semblé d’em- blée une évidence. Je ne me suis même pas posé de questions : je voulais refaire des choses avec eux. Pour le reste de la distribution, tout s’est passé assez simplement. J’ai pris Michel Hazanavicius dans le rôle de la «bonne fée» car je le trouve très beau, candide et protecteur. Didier Bourdon, avec Les Inconnus, fait partie de mes idoles d’enfance. C’est un acteur exceptionnel et d’une immense sensibilité. J’étais fasciné par sa façon de décrire le monde à travers ses sketchs. Il a contribué à l’envie que j’ai eue plus tard de décrire la société à travers le prisme de l’humour. Quant à Charlotte Gainsbourg, elle est non seulement l’une des plus jolies filles du monde mais aussi quelqu’un qui appartient à une sorte de noblesse dans l’esprit des gens. La première fois que je suis allé la rencontrer, elle m’a fait attendre cinq minutes devant sa porte, sans ouvrir, alors que j’entendais des bruits dans l’appartement. C’était parfait: elle allait faire une colonelle géniale! Valérie Bonneton a une dualité très amusante: elle oscille toujours entre le rire et l’étrangeté. Elle est très belle mais aussi a quelque chose de menaçant. Elle était parfaite pour la chérife, cette femme flippante et souriante. Quant à Anémone je l’adore depuis toujours, et j’ai toujours été touché par ses rôles de filles moches. Il y avait quelque chose de très cruel avec elle dans les films du Splendid, alors qu’elle était très jolie. Puis un jour j’ai lu une interview d’elle, ou elle disait regretter d’avoir fait des enfants. Elle était parfaite pour devenir ma dictatrice!

 

 


 

LA GÉORGIE
 ET LES DÉCORS RÉALISTES
Le choix de la Géorgie s’est imposé par la nécessité d’avoir des décors réalistes: je voulais que tout soit le plus vrai possible. Ce pays possède de nombreux vestiges com- munistes, au milieu d’une nature très présente. Idéalement j’aurais aimé tourner en Corée du Nord! Le palais de Gori, ville natale de Staline, a servi de décor au Palais de la grande bouilleuse. Le village de Tserovani, dans lequel ont été tournées les scènes du village du film, est un vrai village en grande banlieue de Tbilissi. Ce sont les habitants qui ont joué les figurants du village où habite Jacky. Ils s’intéressaient beaucoup aux thèmes abordés par le scénario et à l’histoire. Certaines femmes du village ont même porté pour la première fois de leur vie des pantalons dans mon film! Elles riaient et prenaient leur rôle très au sérieux, se moquaient de leurs maris d’un coup si soumis ... Pour les intérieurs, seuls les intérieurs maisons durent être tournés en studio. J’ai dessiné l’ensemble des décors, ainsi que les rajouts 3D, la petite bouilleuse, la grande bouilleuse ...


LES COSTUMES DE SOUMIS
Au départ, j’avais imaginé que les hommes porteraient un casque avec une ampoule perpétuellement allumée sur la tête, mais cela a été impossible à concrétiser pour des raisons techniques. Lorsque j’ai conçu l’idée de la voilerie des personnages, c’était dans le but de minimiser leur virilité. Les acteurs étaient plutôt impressionnés et les regarder a été un pur bonheur : le costume soumet l’homme qui le porte, modifie sa gestuelle en l’obligeant à se courber et le visage ressort tellement que cela modifie complètement sa personnalité !

 

 

 

Courtesy of Pathé Distribution

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