17 Janvier 2019
Plus ou moins de la même manière que le film de John Madden (sorti il y a 20 ans, déjà …) racontait la manière dont Shakespeare, un peu au fond du trou, avait trouvé l’inspiration pour écrire son plus grand succès, "Roméo et Juliette", "Edmond" retrace un pan de la vie de l’écrivain Edmond Rostand, du cuisant échec de sa pièce « La Princesse Lointaine », écrite en vers et jugée ennuyeuse par l’opinion jusqu’à la première de « Cyrano de Bergerac », qui connaîtra un succès tel qu’il s’agit toujours de l’une des pièces de théâtre les plus interprétées en France.
"Edmond", voilà plus de quinze ans qu’Alexis Michalik le peaufine pour enfin le porter au cinéma. Las des échecs successifs et producteurs médisants ne voulant pas financer le film, jugé trop onéreux, le réalisateur se tourne vers le théâtre après avoir vu une adaptation de « Shakespeare in Love » et c’est le succès. Lancée en 2016, la pièce est un tel succès que Michalik n’a plus aucun mal à trouver le financement nécessaire à la mise en place de son projet. Direction Prague avec un casting de choix pour y tourner le film de sa Vie.
Pour remplacer l’excité Guillaume Sentou, le choix se porte curieusement sur le jeune Thomas Solivérès, un peu entrevu dans le génial "Intouchable", régulièrement dans les premières saisons de "Scènes de Ménages" en tant que voisin scout d’Huguette et Raymond et plus récemment au cinéma dans des films un peu superficiels telles que "Spirou et Fantasio" ou "Mon Poussin". Habitué aux rôles un peu débiles et pas très proche du physique de Rostand (il avoue lui-même avoir dû perdre du poids pour paraître un peu plus frêle et avoir une chevelure débordante alors que l’auteur avait un début de calvitie), Solivérès fut tout simplement éblouissant. Jouant parfaitement sur l’urgence de la situation, entre quiproquos sur sa relation épistolaire, la pression constante qui pèse sur ses épaules en devant absolument écrire une pièce en l’espace d’un mois, mise en images par cet hilarant duo de producteurs Corses à la limite du mafieux, jusqu’à devoir affronter les caprices des stars qui composent son casting, il vit pleinement son rôle d’Edmond Rostand qui arrive au point le plus important de sa vie: oublier le four de sa dernière pièce et se montrer le plus audacieux possible pour remonter la pente, alors que la « menace » du cinématographe se profile à l’horizon.
Face à lui, le casting se révèle royal. L’exubérant Olivier Gourmet en Coquelin/Cyrano sait transmettre son trop-plein de positivisme face à une Mathilde Seigner irrésistiblement insupportable dans son rôle d’actrice beaucoup trop exigeante. Tom Leeb se rattrape du catastrophique "Les Nouvelles Aventures de Cendrillon" pour incarner le meilleur ami du héros, homme beauf et bourrin ne pouvant compter que sur la maitrise des mots de Rostand pour séduire sa dulciné, la costumière Jeanne d’Alcie, interprété par la charmante Lucie Boujenah (pour le moment surtout connue en tant que Jenna dans "SODA"), responsable malgré elle des doutes émis par Rosemonde (Alice de Lencquesaing, vue dans "Otez-Moi d’un Doute") sur son mariage avec l’écrivain, celui-ci cherchant au travers de la première le désir platonique lui insufflant l’inspiration nécessaire. Car, finalement, c’est bien tout ce petit monde gravitant autour de lui qui servira peu à peu à l’élaboration de la plus célèbre des pièces de théâtre.
Il est évident que ce biopic (qui n’en est pas vraiment un) est probablement ultra romancé par rapport à la réalité, mais le dynamisme du script et l’habileté du scénario à casser les codes et le rythme est tel que l’on en fait abstraction. Les personnages sont tous vraiment attachants, partageant les moments suspendus (ce final tellement intense) et les instants de ridicules avec un talent monstrueux. On s’émerveille de la fabuleuse représentation du Paris fin XIXe (les effets spéciaux sont bluffants, le film étant tourné à Prague), on vogue sur le rythme des impitoyables causeries en vers, on est touché par l’inquiétude constante de cette équipe improbable.
Véritable réflexion sur l’aspect même de la création mariée à l’improvisation, Michalik offre une perle de comédie française, rappelant au travers de multiples extraits de la plupart des réinterprétations de la pièce (essentiellement au cinéma) l’impact culturel majeur qu’a eu celle-ci avec le temps. Tour à tour moderne autant que nostalgique, le metteur en scène s’offre une œuvre royale, mélangeant à la fois le côté très cabotin (mais dans le bon sens) du jeu théâtral et celui parfois plus brut et émotionnel du cinéma. Nous avons des acteurs qui jouent le rôle d’acteurs, offrant deux lectures à chaque fois sans que rien ne nous sorte du récit, démontrant le talent de réalisation évident d’Alexis Michalik (de même que son jeu d’acteur, en tant que Georges Feydaux, auteur à succès se moquant sans vergogne des échecs artistiques de Rostand, peut être vu comme un pied-de-nez à la réalité…). Mais maintenant qu’il a pu réaliser le rêve qui l’a poussé depuis quinze ans à se dépasser, vers quoi se tournera l’auteur à l’avenir?
Note: 3,5/5
Remerciements à NCo (just_an_ellipsis)
Commenter cet article