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CRITIQUE: "ÇA: CHAPITRE 2"

CRITIQUE: "ÇA: CHAPITRE 2"

Il y a, dans le monde du Cinéma, une catégorie de films qui mêle tour à tour hâte et crainte. Adapter une histoire d’un autre média, c’est pour certains gage de facilité. Pas la peine de créer des personnages, un univers, des interactions, un background : tout existe déjà. Tout ce qu’il faut, c’est le mettre en images. Simple ? Pas tant que ça. On a peur de se retrouver avec une aventure creuse, sans surprise, une adaptation scolaire et sans risques, ou même un dénaturement complet de l’œuvre original. Ce n’est pas nouveau d’adapter. « Autant en emporte le vent » en 1939, est venu d’un roman de 1936. « Le Seigneur des Anneaux » ou la saga « Harry Potter » sont des symboles d’adaptations globalement réussis, grands publics (et surtout extrêmement rentables), ou même de « Blade Runner » ou « Le Nom de la Rose » pour varier les plaisirs, mais également d’infâmes créations comme « Les Trois Mousquetaires » version Paul « Resident Evil » Anderson ou l’effroyable « L’Île aux Trésors » avec Gérard Jugnot. Mais nous ne sommes pas là pour faire un résumé du rapport, parfois conflictuel, liant cinéma et littérature. Un auteur va nous intéresser aujourd’hui : Stephen King.

 

On ne présente pas Stephen King. On ne compte plus le nombre de chefs-d’œuvre de l’écrivain, majoritairement dans l’horreur, mais pas que. Stephen King en film, c’est beaucoup d’excellence, ne serait-ce que la triplette déchirante de Frank Darabont composé de « Les Évadés », « La Ligne Verte » et « The Mist » ou encore le charme rétro/kitsch de « Christine » ou « Simetierre ». Brian de Palma fut le premier à oser adapter l’écrivain avec le culte « Carrie » (avec un Travolta tout jeune dedans), mais d’autres cinéastes de renom se sont prêtés à l’exercice, notamment David Cronenberg (« Dead Zone »), John Carpenter (« Christine »), Georges Romero (« La Part des Ténèbres » et « Creepshow ») ou l’inévitable Stanley Kubrick, dont sa vision de « Shining » fut désavouée pendant longtemps par King. Rares au fond sont les années sans adaptation de l’écrivain, que cela soit en films, téléfilms, séries…

 

En 2017, une adaptation de King devint le « film d’horreur le plus rentable de tous les temps ». Le roman datait de 1986 et sa première adaptation devint un classique instantané lors de sa sortie en 1990, notamment par la performance toujours impressionnante de Tim Curry, lequel sera responsable d’une vague importante de Coulrophobie à sa sortie. Alors soyons honnête : revoir « Ça – Il Est Revenu » aujourd’hui, ça pique sévère. Les effets spéciaux sont violemment datés, les incrustations arrachent les yeux et les jeux des acteurs (essentiellement des adultes) sont totalement risibles. Mais comme dit plus haut, Tim Curry est royal, ne fait qu’un avec le clown et réussit encore aujourd’hui à convaincre dans un film un peu kitsch, mais plutôt très fidèle au livre, bien que l’édulcoration de l’horreur retire une grande partie de l’angoisse. En 2017 donc, Pennywise revient, pour le meilleur et (hélas) pour le pire.

 

La réadaptation du roman est dans les cartons depuis déjà 2009 et fut transmise de réalisateurs en réalisateurs (Cary « True Detective » Fukunaga a notamment été pressenti avant de claquer la porte à New Line) jusqu’à ce qu’Andrés Muschietti, auréolé du succès de « Mama », ne prenne la main. Une première moitié centrée sur les enfants en 2017, l’autre sur les adultes en 2019, le film se détache quelque peu du format du roman et du téléfilm, lesquelles se déroulent majoritairement dans les années 80, ne retournant dans les 50’s que le temps des quelques flashbacks symbolisant les souvenirs retrouvés des protagonistes.

 

Le succès du premier film fut, en grande partie, mérité. Malgré son changement important de temporalité, le plaçant dans les années 80 pour coller à ce fameux (et lourd) élan du « revival des eighties » (merci « Stranger Things »), le « Chapitre Un » se veut finalement plutôt proche du roman. Les différentes incarnations de Ça sont judicieuses, se différenciant de celles du téléfilm pour les rendre plus en phase avec cette époque (absence des transformations en loups-garous ou momie, par exemple). De plus, Muschietti parvient à mixer un superbe mélange entre horreur et comédie sans jamais que ça ne paraisse too much, le film ménageant quelques jumps-scare, certes putassiers, mais relativement bien placés, le tout dans un rythme qui ne faiblit jamais, rendant le film extrêmement agréable, à défaut d’être véritablement effrayant, la faute à, toujours, une édulcoration de l’ambiance.

CRITIQUE: "ÇA: CHAPITRE 2"

Hélas, Muschietti voit grand, trop grand, et se retrouve à entacher sérieusement les rapports de son « Chapitre 2 » envers, à la fois, le roman et le « Chapitre 1 ». Il a envie de plus. De plus de sang, de plus de créatures, de plus de jump-scare, de plus (trop ?) de Pennywise… Muschietti voit grand, beaucoup trop grand et son métrage va cruellement perdre en impact au fur et à mesure, alors même que dès son introduction, le film partait sur d’excellentes bases. La violence de l’agression homophobe, la soudaineté de l’attaque du clown, l’avalanche grandiose de ballons rouges, le caméo de Xavier Dolan (bon…), tout concorde avec l’ambiance angoissante de cette même scène dans le livre et augure une suite grandiose.

 

Pourtant, les choses se corsent peu après. Mike réapparait et celui-ci est aux antipodes du personnage qu’il est à la fois dans le roman et surtout dans le premier film. Normalement posé et réfléchi, digne gardien du phare qui, pendant 27 ans, a conservé le savoir et les expériences des derniers réveils de Ça, guide du club des ratés ayant la tâche de leur rappeler leurs souvenirs et leur serment, il apparait ici totalement surexcité, hystérique, complétement irréfléchi. Et ce n’est que le début des nombreuses erreurs du film.

 

Dans cette histoire, le fait de quitter Derry a altéré la mémoire des protagonistes, leurs faisant oublier leurs vies passées dans cette ville. De ce fait, la narration du téléfilm et du livre se passe en enchainant les flash-backs. Grossièrement, un personnage adulte revient à Derry, la mémoire lui revient et nous la présente en nous renvoyant 27 ans en arrière, et ainsi de suite. Muschietti a choisi une narration bien différente : un film sur les enfants, un film sur les adultes. Le principal défaut du premier reste celui du deuxième : « Ça » se transforme en film à sketch. Un instant de vie d’enfant entre l’école et la recherche du petit Georgie dans les friches, puis la rencontre un par un de Ça dans une forme quelconque.

 

Dans le premier, ça ne cassait pas le rythme. Mais ici, c’est différent. Passons la scène du restaurant très banale pour arriver vers un Mike toujours aussi timbré qui drogue Bill pour lui montrer des visions d’Indiens Shokopiwah, d’une vague explication abrupte sur l’origine de Pennywise et du rituel de Chüd, jeté ici en pâture alors que Bill le découvre bêtement dans un livre dans le roman. À vouloir faire trop simple, Muschietti s’emmêle et finit par faire plus compliqué. Encore plus quand il lance les protagonistes dans un RPG grandeur nature où ils devront explorer Derry pour récupérer des artefacts du passé dans le but d’ouvrir la salle du boss du donjon.

 

Littéralement à ce moment-là, le film explose. Le rythme s’alourdit, les aventures des héros n’auront que très peu d’intérêt, si ce n’est de toujours balancer plus de Pennywise à l’écran, toujours plus de créature arrivant en sautant sur l’écran. C’est excessivement lourd, on s’ennuie ferme en attendant que ça passe. Même la réapparition forcée de Bowers (qui s’est quand même cassé l’intégralité de son corps dans le puits sans fond de la maison abandonnée dans « Chapitre 1 », mais passons) ne présente ni intérêt, ni enjeu. Il est censé blesser Mike si grièvement que celui-ci fini le reste de l’histoire à l’hôpital. Il est censé être une importante menace en livrant un combat violent avant de mourir face à Eddie. Mais non, il est loin d’être le fou en psychiatrie du roman et ressemble juste à un simplet débile n’étant jamais flippant. Juste marrant. Et marrant, le film l’est en overdose pour cacher la misère d’un clan qui ne construit aucun attachement. Les enfants du premier savaient nous faire ressentir une profonde affection pour chacun d’eux et cela s’est ouvertement ressenti dans la sympathie qu’on avait à les suivre. Ici, ce n’est pas le cas. L’empathie est absente, aucun lien ne se crée entre les protagonistes, passant le plus clair de leur temps séparés à ne jamais s’entendre. Mises à part leurs évidentes ressemblances avec leurs homologues enfants (grand bravo au casting pour ça), le film ne parvient jamais à nous faire nous inquiéter pour les protagonistes.

 

Car disons-le clairement, Ça n’est jamais menaçant. Il mange des enfants et détruits des adultes, mais il fait preuve d’une passivité affolante concernant le club des ratés. Certains diront que ce n’est que de la provocation pour les attirer, mais je proteste. Dans le livre, Pennywise a peur des héros, il ne veut pas les affronter à nouveau, il veut les faire fuir. Ici non, il les provoque, leur intente de « revenir à la maison », mais sans jamais leur faire le moindre mal. Il s’est fait littéralement anéantir par sept enfants et construit lui-même la potence sur laquelle se pendre, c’est incompréhensible. Et ce jusqu’à ce combat final complètement pété. Alors certes, les illusions sont pour la plupart joliment construites, mais rien ne marche. Là encore, on ne parvient jamais à penser que les héros soient vraiment en danger, même la mort de l’un d’eux est téléphonée, jusqu’à le laisser mourir hors-champs.

 

Muschietti échoue. En donnant trop peu de places aux fameux flash-backs faisant le sel du livre au profit de séquence inintéressante, celui-ci ne pourra compter sur un James McAvoy qu’on aura rarement vu aussi transparent et globalement un casting qui a du mal à exister, quand bien même Bill Skarsgard tentera d’en faire des caisses pour sauver les apparences. Tout passera dans une lenteur exacerbée distribuée avec une effroyable précipitation, comme si Muschietti ne savait pas vers où se diriger, sans doute expliqué par la multitude de jump-scares putassiers et écœurants. Je ne parlerai pas de l’happy-end, sans doute trop heureux par rapport à la mélancholie terrible de celle du roman (comme la destruction de la ville de Derry, qui ne peut exister sans Ça), ni des choix scénaristiques curieux (la lettre de Stan), opportuniste (l’homosexualité de Richie) ou manquant cruellement de couilles (on aurait voulu voir les combats psychiques entre Bill et Ça). « Ça – Chapitre Deux » est une cruelle désillusion qui aurait tellement pu donner lieu à l’un des films les plus terrifiants qui soient. Mais très loin de là, Muschietti ne fait qu’un film incroyablement scolaire, apte à capter l’auditoire en se disant que les lecteurs du roman ne seront qu’une minorité dans la horde de spectateurs. C’est tellement décevant…

 

Note:  2/5

Remerciements à NCo (just_an_ellipsis)

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