6 Septembre 2019
Les stars d’avant laissent place à un Nouvel Hollywood bousculant les conventions établies. Hitchcock, Ford et consorts sont en pertes de vitesse, les Majors vieillissants n’intéressent plus la nouvelle génération et le cinéma Européen (entre le néoréalisme Italien et les Polar et Nouvelle Vague française) marche littéralement sur un cinéma américain puritain et conventionnel. Les années 60/70 voient ainsi l’émergence de nouvelles thématiques, davantage dans l’air du temps, plus moderne, plus actuelles, plus Woodstock. Terrence Malick ("La Balade Sauvage"), Dustin Hoffman ("Le Lauréat"), Dennis Hopper ("Easy Rider") ou encore Robert Altman (de "M*A*S*H" à "Nashville") ne sont que des exemples de nouvelles personnalités bousculant les codes établis, symbole de la prise de pouvoir des réalisateurs dans les processus de production.
La sortie d’un nouveau film de Quentin Tarantino est toujours un événement majeur. Amoureux des longs dialogues et des accès de violence ahurissants, "Once Upon a Time… In Hollywood" fait le lien avec les trois précédents métrages du réalisateur: "Django Unchained" et "Les Huit Salopards" pour la thématique récurrentes du Western, ainsi que "Inglourious Basterds" pour sa réécriture innovante de l’Histoire (la fameuse "trilogie révisionniste" avec Django. Pour l’épauler (et pour la première fois ensemble, malgré s’être loupé de quelques années dans "Growing Pains"), Brad Pitt et Leonardo DiCaprio, déjà aperçu dans des rôles absolument dingues pour QT. Le premier sera l’inséparable cascadeur de l’autre, acteur anciennement reconnu devenant has-been à se contenter de piètre rôle d’antagoniste, véritable image de ces anciennes gloires essayant tant bien que mal de se faire une place dans un nouveau monde qu’ils ne reconnaissent pas. Face à eux, Margot Robbie symbolisera totalement ce Nouvel Hollywood, campant la regrettée Sharon Tate, alors au sommet de sa gloire avec son mari Roman Polanski, que tous studios s’arrachent depuis le succès de "Rosemary’s Baby". En toile de fond, le mouvement hippie en pleine émergence pour stopper le conflit au Viêt-Nam et l’inquiétante famille Manson qui prend de l’ampleur au fur et à mesure. Le tout sera saupoudré d’une énorme dose de caméo plus ou moins présents dont Tarantino a le secret.
Tarantino aime le cinéma et ce film le transpire. En faire une critique, aussi longue soit-elle, ne suffirait pas à résumer la myriade de sentiments nous parcourant l’échine durant les quasi trois courtes heures de ce métrage. Quentin Tarantino livre ici son film le plus tendre, déclaration d’amour valdinguant de studios en décors, d’instants de tournages suspendus dans le temps en prouesses d’acting ahurissantes, transcendés par un DiCaprio d’une justesse folle. Ses crises de colère existentielles sont fantastiques, ses punchlines sont dingues et il sait faire transpirer une passion absolument débordante. Brad Pitt est magnétique, tellement cool et absolument irrésistible, se réservant des éclats de violence dingues et excellement hilarants (surtout son combat contre Bruce Lee), le second constamment abreuvé de demandes de service par le premier. Si beaucoup ont, semble-il, trouvé Margot Robbie inutile, sachez qu’il n’en est rien. Elle n’a pas une très grande présence à l’écran, elle n’a pas de dialogues farouchement intéressants, mais sa place n’est pas là. Margot Robbie en Sharon Tate symbolise surtout la jeunesse et l’insouciance, un côté absolument naïf, joyeux, une actrice qui découvre la grande célébrité, jubilant de se rendre incognito dans un cinéma et d’en ressortir euphorique en s’apercevant que tous ont adoré sa performance dans "The Wrecking Crew", à l’opposé de DiCaprio dont la carrière s’essouffle. Véritable soleil au milieu d’un film plus sombre qu’il n’y paraît, sa présence est absolument essentielle.
Un Tarantino n’en est pas un sans sa riche galerie de seconds rôles, bien souvent composée d’acteurs ayant déjà travaillés avec lui. Faisons exception des pauvres Tim Roth et James Marsden qui sont finalement absents (coupés au montage), certains n’ont que peu d’impact et ne servent qu’à contextualiser le décor, comme Damon Herriman, qui préfigure son même rôle de Charles Manson dans "Mindhunter 2", Damian Lewis en un Steve McQueen vieillissant et, semble-t-il, amer, la courte apparition de Michael Madsen dans "Bounty Law", le regretté Luke Perry, un Austin Butler qui ne fait qu’un avec Tex Watson ou encore de Maya Hawke, qui a le vent en poupe depuis la série "Stranger Things 3". Mais d’autres se révèleront plus intenses et importants, notamment Timothy Oliphant en James Stacy, Margaret Qualley, magnétique et symbole de ce tournage en ridicule de la Famille Manson, Dakota Fanning, étrangement sale et désincarné.
Le casting est une brillante réussite, mais vient le sujet diviseur: le scénario. Le film est clairement scindé en deux parties, la première, bien plus longue, symbole de ce Nouvel Hollywood supplantant l’ancien, et symbolisé par la présence toujours qualitative d’Al Pacino, crachant à la figure d’un DiCaprio déprimé sa ringardise en essayant de le convaincre de partir tourner en Italie sous Corbucci. Cette partie divise, donc. Certains y voient une déclaration d’amour, Tarantino se plaisant à nous immerger dans les tournages, dans les doutes de sa vedette, chargeant sans vergogne les hippies et tournant en ridicule Manson et compagnie. La mise en scène, toujours lente et élégante, maintient la pression, les phases de tournages nous retiennent le souffle. C’est en cela que ça peut coincer, la frontière entre l’hommage, la passion, la prétention d’un idéalisme peut-être un peu trop pompeux. Le rythme est étrange, Tarantino continue de nous abreuver de ces longues discussions, essentielles à l’histoire, parfois touchantes (surtout quand cela concerne Leo), mais dont la moindre déconcentration sera à même de nous faire sortir de l’histoire. Le possible problème, c’est que Tarantino a clairement pensé à son plaisir plutôt qu’à celui du public, encore plus si les références nous sont inconnues, à l’exemple de Manson, présent une courte séquence, mais non nommé. On ne va pas voir "Les Huit Salopards" et ses duels ultra-violents. On ne va pas voir "Django Unchained" et sa recherche de vengeance. "Once Upon a Time… In Hollywood" semble pratiquement être un mélange entre une autobiographie fictive et un documentaire cinématographique. Pour le pire ou pour le meilleur, mais ce film, encore plus que les autres, réclame un important don de soi pour en saisir toutes les subtilités. Définitivement, ce film ne conviendra pas à tout le monde.
La deuxième partie, qui ne dure finalement pas si longtemps, se veut tout aussi spéciale que la première, mais pour un sujet différent. Tarantino réécrit l’histoire et décortique ce fameux 9 août 1969. Se passant six mois après la première partie, on redémarre le jour même de l’assassinat de Sharon Tate; on y suit ce qui semble être les dernières heures de l’actrice, enceinte de huit mois. On la voit rentrer chez elle avec ses défunts amis. On aperçoit les hippies de Manson devant son portail. Mais on aperçoit surtout DiCaprio leur hurler dessus lors d’une scène d’une hilarité fantastique et se voir être désigné comme cible plutôt que Tate. Le film s’envole lors de ce final brutal, intense, hilarant, grand-guignol même, furieusement trachouille et libérateur où l’on retrouve enfin les velléités gores de son réalisateur. Certains jugeront cette révision de mauvais goût, mais ce serait prendre le film beaucoup trop sérieusement. Evidemment, ceux qui aiment Tarantino pour sa violence hystérique en ressortiront déçu, mais ce serait là réducteur.
Son amour des 60’s, sa reconstitution d’une fidélité enjôleuse, sa bande-son judicieuse, son scénario à tiroirs et aux conclusions non prévisibles. Tarantino reste Tarantino. Moins trash, plus posé, mais tout aussi intéressant, hypnotisant même. Hommage à sa propre filmographie et au cinéma qui l’a vu grandir, il est difficile de trouver un milieu entre ceux qui ont aimé et ceux qui ont détesté. Encore une fois, il faut comprendre le cinéma et l’histoire qui en découle pour pleinement apprécier ce film et le regarder à sa juste valeur: "Once Upon a Time… In Hollywood" est un chef-d’œuvre.
Note: 4/5
Remerciements à NCo (just_an_ellipsis) & Sony Pictures France
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