30 Septembre 2019
Le Huitième Art, c’est ainsi que l’on présente le jeu vidéo de nos jours. Pourtant, la route fut longue. Des premières consoles rudimentaires des années 50-60 aux salles d’arcade des 70/80 jusqu’à l’explosion de la console de salon grâce au duo Nintendo/Sega dans les années 80, la route continue d’être semée d’embûches pour enfin faire reconnaître les œuvres vidéoludiques comme, justement, des œuvres. Mais nous sommes sur un site de cinéma, que vient faire le monde du jeu vidéo ici ?
Je l’avais très vaguement cité dans ma critique portant sur "Ça – Chapitre 2". J’avais parlé d’adaptation de livres au cinéma, montrant l’utilité que cela avait et la (relative) facilité à se lancer dedans, à savoir mettre en images un univers entier ayant déjà sa propre existence. Pour un livre, c’est particulier, après tout, il s’agira de mettre des mots en images, mais pour un jeu vidéo, c’est différent. Si le background existe là aussi encore, l’image l’est également. À partir de là, la frontière devient mince entre la simple recopie et la prise de liberté totale. Et si j’avais un peu traité des relations houleuses liant cinéma et littérature, celle mélangeant cinéma et jeu-vidéo est d’autant plus brutale.
La raison est simple: on n’adapte pas un livre comme on adapte un jeu. Je vais le dire très grossièrement, le cinéma adapte un livre pour plaire au plus grand nombre et les studios adaptent un jeu pour plaire à l’image qu’ils ont des joueurs, qui se limite ainsi bien souvent à des décérébrés ne jouant qu’à un "Call Of Duty" sans subtilité pour tuer des gens. C’est grossier, mais c’est l’impression qui ressort le plus souvent. Mais comme pour la littérature, il y a d’énormes variétés de joueurs, certains se plaisant à la destruction d’un "Gears Of War" tandis que d’autres préféreront la créativité d’un "Minecraft" ou la détente d’un "Journey" (et ceci n’est, là encore, qu’un piètre raccourci).
Pour cet article, nous ne nous pencherons que sur les films ayant eu droit à une vraie sortie cinéma: pas de Direct-to-VHS/DVD ou d’animés trop méconnus dans nos contrées, tout cela ressortira peut-être dans un Volume 2 de ce pavé. Car des choses à en dire, il y a plus que moult. Et surtout, ce texte sera rempli de sel. Beaucoup, de sel. Car nous allons débuter par la décennie 90 et celle-ci est un ramassis de nullité qui constituera le début des adaptations de jeux vidéo. Tout commence en 1993 par une très mauvaise idée…
Le casting a de la gueule. On parle de Bob Hoskins, de John Leguizamo, de Dennis Hopper (et même de Fiona Shaw, future Pétunia Dursley). Et ce pour quel film ? Super Mario Bros. Déjà: pourquoi ? En premier lieu, les jeux Mario parus jusque-là ne contiennent aucune histoire, juste une succession de plateformes pour battre Bowser et sauver Peach. En second, il faut se dire que toutes les adaptations en dessins animés des aventures du plombier (et non du livreur de pizza, mon cher Mac Lesgy) sont soit très moyennes soit carrément nulles (rappelez-vous du rap des plombiers et préférez celui des deux frères Grenier). Le résultat fut, comme prévu, désastreux. Caricatural au possible, crachant des références aux jeux tout mettant en scène un univers glauque et ridicule, le film demeure, encore aujourd’hui, un excellent navet qui, si vous avez l’esprit ouvert, pourra très probablement vous faire passer une bonne soirée. Il y a toujours du bon dans la médiocrité, il paraît.
Les années 90 donc. De la souffrance. Ce n’est pas un Jean-Claude Van Damme en surjeu constant qui sauvera le WTF complet de "Street Fighter" (notons la, malheureuse, dernière apparition de Raùl Gomez Addams Julia), voulu, selon les dires de Steven E. de Souza comme un mélange de "Star Wars", James Bond et d’un film de guerre. Plantage complet, le film se vautre à vouloir mettre beaucoup trop de personnages et balancera la sauce dans un final grand-guignolesque où tout le monde tapera sur tout le monde. Les 90’s, c’est la grande mode des jeux de bagarre et en plus de "Street Fighter", deux licences exploseront sur grand écran: l’infâme et débilisant Double Dragon en 94 (avec un pauvre Robert T-1000 Patrick), sorte de fils consanguin d’un "Mad Max" et de film de gang lambda; mais surtout la doublette "Mortal Kombat" (1995 et 1997). Le premier vaut le coup d’œil uniquement pour les punchlines de Christophe Lambert (seul argument du film) et le deuxième est une monstruosité de tous les instants, sorte de nanar hyper sérieux se parodiant lui-même. Comme quoi Paul WS Anderson avait déjà tout compris à comment rater une licence, mais nous reviendrons sur le bonhomme un peu plus tard.
Les années 2000 voient arriver deux choses: la place de la femme dans les jeux progresse de plus en plus et un nouveau challenger va faire son apparition. Deux femmes vont se retrouver mises à l’honneur au cinéma: Lara Croft et Alice. Pour la première, deux films très bas de gamme même pas sauvé par une Angelina Jolie qui voulait, au départ, que "Tomb Raider" rende vraiment hommage à une héroïne plutôt qu’à un grand polygone aux seins triangulaires. C’est raté. Sans être foncièrement des étrons, "Tomb Raider" (2001) et "Le Berceau de la Vie" (2003) présente des intrigues sans intérêt où Angelina se balade aux quatre coins du globe sans s’impliquer dans le personnage. Tout juste notons les apparitions des plus jeunes Daniel Craig, Gerard Butler ou encore Djimon Hounsou et Til Schweiger. Mais les années 2000, c’est aussi la naissance de ce qui reste encore aujourd’hui la plus longue saga à avoir mise au premier plan une héroïne, même si créée pour l’écran et absente du jeu: "Resident Evil".
Le retour de Paul WS Anderson donc, s’amusant à mettre sa compagne Milla Jovovich au premier plan dans une saga extrêmement populaire. Les RE, c’était une ambiance, un calme, des monstres tapis dans l’ombre et des caméras fixes extrêmement cinématographiques. Encore aujourd’hui, cette saga est l’une de mes favorites. Mais au cinéma, ce n’est pas la même chose. "Resident Evil" (2002) et sa suite (2004) avaient pourtant de belles intentions. Le premier fait référence au fameux manoir Spencer et le deuxième tente de faire plonger Racoon City dans l’apocalypse. Mais ça ne fonctionne pas. Les jeux posent une ambiance malsaine avant de finir en apothéose d’action. Les films sont de très mauvais films d’action qui essaient, par opportunisme, d’allier horreur et gunfight dans un montage indigeste et surtout des jump-scares horripilant toutes les trente secondes. Unanimement mal reçu, les différentes suites (jusqu’au dernier en 2017) exploseront, se limitant à des films d’action ridicules, ménageant des ralentis sur chaque scène et se plaisant à jeter à droite à gauche quelques personnages issus des jeux, mais jamais à leur place. C’est finalement ce qui rendra cette saga excellente dans sa médiocrité. Le film est décomplexé et demeure un plaisir coupable étonnant… Mais pour les adorateurs des jeux, préférez la saga en animation directement créée par Capcom.
Et le nouveau challenger dans tout ça ? Vous le savez. "House Of The Dead" (2003) transformé en un "American Pie" avec des zombies de foire, "Alone In The Dark" (2005) avec un pauvre Christian Slater qui peine à ne pas nous endormir, "BloodRayne" (2006) et une Michelle Rodriguez qui s’est perdue, "King Rising" (2006) qui arrive à allier quand même Jason Statham, Ron Perlman et Burt Reynolds, l’énormité "Postal" (2007) (que je vous conseille au 100000e degré tellement c’est malaisant), "Far Cry" (2008)… Venu tout droit d’Allemagne, Uwe Boll s’applique année après année à littéralement déféquer sur les licences qui passent sous sa caméra. S’il a depuis un peu disparu des radars (ne nous en plaignons pas), il convient de l’applaudir pour la régularité avec laquelle il s’est appliqué à pondre des navets d’excellence. A voir ce ramassis d’immondices, on se dit qu’on n’a rien à en tirer, que les jeux vidéo n’auront jamais droit à un peu de dignité. Mais c’est faux, et de cette décennie, deux films vont laisser augurer des jours meilleurs.
Déjà un moins mauvais film: "Doom". Malgré les apports indéniables de Karl Urban, Dwayne Johnson, Rosamund Pike et de Richard Brake (oui, le Roi de la Nuit), le film s’enfonce dans une médiocrité sympathique, ménageant au détour d’une luminosité désastreuse quelques twists intéressants un peu cassés par la lourde séquence FPS de fin de film. Mais en 2006 surtout, Christophe Gans (qui a déjà fait le très sympathique "Le Pacte des Loups") décide de se lancer dans l’adaptation de "Silent Hill". Menacé de mort par une partie des fans du jeu, Gans réalise pourtant une adaptation très fidèle à l’esprit du jeu, trop peut-être. Se perdant dans sa narration, Gans lance Radha Mitchell dans une quête aux artefacts ouvrant petit à petit l’accès à de nouvelles zones, rendant finalement la narration paresseuse et ennuyeuse, peu aidée par les allers-retours incessants au monde réel et un Sean Bean peu intéressant (et qui ne meurt même pas, c’est dire). Néanmoins, le bestiaire est joliment réalisé et la mise en scène est somptueuse, rappelant une fidélité parfaite à l’esthétique du jeu. Gans est un passionné et ce film nous le fait ressentir et rien que ça, c’est déjà une excellente chose.
Je parlerai très rapidement de "Hitman", réalisé par un Xavier Gens qui n’avait alors réalisé que le médiocre "Frontières" (déjà, un film d’horreur avec Samuel Le Bihan et Estelle Lefebure…). Symptôme de la vision autocentrée des studios, Gens (et de Todt, qui lui a piqué le final cut) détruit la subtilité et l’élégance du jeu de base au profit d’un film d’action cruel et outrageusement gore dans lequel Timothy Oliphant n’est pas du tout dans son rôle, juste en roue libre pour tuer des gens. Je ne parlerai cependant pas de "Dead or Alive" (encore par WS Anderson) dont le seul but est de montrer des culs en gros plans au détour de quelques scènes de combat inintéressantes avec en fond un Eric Roberts venu prendre son chèque. La décennie 2000, si elle est majoritairement bardée de navets, montre tout de même un intérêt croissant pour le jeu vidéo, ne serait-ce que par certains films qui, s’ils sont loin d’être parfait, se veulent plus proche d’une vision grand public et non plus restreints à un cercle que les majors pensent, à tort, limité. Chose confirmée en 2010 avec un "Prince of Persia" certes peu intéressant, mais qui se laisse tout de même regarder, ne serait-ce que pour un Jake Gyllenhaal plutôt présent et l’apport qualitatif d’Alfred Molina et Ben Kingsley.
La décennie 2010 va permettre à l’industrie d’évoluer par l’apport en personne des studios dans le processus de création des films. En 2009 déjà, Ubisoft met en ligne "Assassin’s Creed Lineage", petit court-métrage joliment ficelé permettant d’introduire le futur "Assassin’s Creed 2" en utilisant les acteurs du jeu. Les scènes de combat y sont plutôt bien tournées et l’histoire se fond à la perfection dans l’univers du jeu. Malgré la série TV des "Lapins Crétins", il faudra attendre 2016 pour que la société française remette le couvert avec "Assassin’s Creed". Ubisoft met le paquet niveau casting: Michael Fassbender, Marion Cotillard, Jeremy Irons ou encore Charlotte Rampling. Pour le film, c’est mi-figue. Les décors sont foisonnants, la froideur bleutée du présent combiné à la chaleur orangée de l’Espagne de l’Inquisition (procédé déjà présent dans "Matrix", où la Matrice apparaît verdâtre et la réalité bleutée), mais le film peine à convaincre par un jeu d’acteur monolithique et des scènes d’action sporadiques étrangement rythmées, malgré la beauté des chorégraphies. Toutefois, le choix de s’éloigner de l’univers du jeu pour créer une histoire inédite est une excellente idée et nous attendons avec impatience les futurs projets d’Ubisoft (notamment "Splinter Cell" ou "Far Cry").
Mais parler d’éditeur tournant ses propres adaptations seraient criminel sans évoquer la tragédie Squaresoft. Je ne m’étendrais pas beaucoup sur "Final Fantasy, Les Créatures de l’Esprit" (2001), d’autres l’ont bien mieux fait que moi. Ce film, véritable entrée de Square dans le monde du cinéma fut un tel désastre pour le studio qu’il engendra la démission de Sakaguchi et la fusion de Squaresoft avec son éternel rivale Enix pour éponger les pertes. Ce FF avait pourtant le puissant argument de ne pas cracher à outrance ses références aux jeux et d’être très en avance sur son temps par son animation manuelle, ainsi qu’un casting impressionnant (comme Alec Baldwin, Donald Sutherland, Steve Buscemi ou Ving Rhames). Pas là pour débattre de la déchéance, ou non, de la saga "Final Fantasy", Square Enix reboot "Tomb Raider" en 2013 sur console et en 2018 au cinéma. Le motif est extrêmement louable: annuler la sexualisation à outrance de Lara Croft au profit d’une héroïne plus réaliste, plus humaine, plus sombre également. Le reboot du jeu est un chef-d’œuvre et si celui du film s’en sort moins bien par une aseptisation énorme de l’aventure et un rythme en dents de scie, Alicia Vikander réussit haut la main à faire sien le rôle de cette extraordinaire aventurière.
Blizzard également a tenté le coup en 2016 avec "Warcraft: le Commencement". Habitué aux courts-métrages qui accompagne "World of Warcraft" depuis 2006, le film est une totale réussite du point de vue visuel. L’univers est impressionnant et les scènes de bataille rappellent la densité de celles du "Seigneur des Anneaux". Le film s’en sort moyennement au niveau du rythme, encore, et d’un jeu d’acteur pas toujours convaincant, malgré le charisme indétrônable de Travis Fimmel (l’unique Ragnar de Vikings). Tout ces films imparfaits ramènent moult baume au cœur pour leur amour et respect des licences dont ils sont les représentants, à contrario d’un faible "Rampage" (dont la nostalgie, couplée aux charmes de Dwayne Johnson et Jeffrey Dean Morgan, ne suffira pas à titiller la fibre nostalgique opportuniste voulue. Car les 2010 ne seront pas exempts de navet, comme la piètre suite "Silent Hill Revelation" (malgré la première apparition cinématographique de Kit Harrington), l’inintéressant "Need for Speed" avec Aaron Paul (et l’idée de contrer "Fast and Furious" est du suicide) ou le nullissime reboot de "Hitman: Agent 47" avec toujours plus d’action. Et je mettrai la hola sur "Pokemon Détective Pikachu" qui doit essentiellement son succès à l’importante vague de nostalgie qu’il a créée. Le film est beau, mignon, cool, mais à prendre avec pas mal de recul pour ne pas apercevoir les grossières ficelles qu’il entretient. Il réussit toutefois à rendre agréables les petits monstres sur grand écran et c’est déjà une prouesse.
Petit à petit, la vision de l’industrie du cinéma évolue et prend de plus en plus au sérieux les gamers. La route est encore longue, et la liste de projet augmente drastiquement, citant par exemple l’effrayant "Sonic", "Minecraft", "Five Nights at Freddy’s" ou encore "Uncharted" (avec Tom Holland et dont je vous conseille le court métrage avec Nathan Fillion sur YouTube) parmi la myriade de futurs films. Toute idée d’adaptation fait peur, ne serait-ce que, par comparaison à celles de livres, celles des jeux comptent en très grande majorité des mauvais films, explicable par la vision extrêmement linéaire des producteurs. Le joueur n’est pas un bourrin décérébré. Il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire. Il faudrait parler des films qui piochent dans la pop-culture pour paraître cool (mais qui finissent par être ringard). Il faudrait parler aussi de l’impact du cinéma sur les jeux vidéo, que cela soit par la vision très cinématographique des jeux Naughty Dog ("Uncharted", donc, et "The Last of Us") ou bien la recrudescence de jeux plus narratifs (dont le studio français Quantic Dream se fait porte-étendard avec la triplette "Heavy Rain", "Beyond Two Souls" et "Detroit Becoming Human") ou contemplatifs. Mais cela sera l’affaire d’autres critiques de ce genre.
Il y a évidemment des oublis, la multitude de films d’animation Pokemon, par exemple, le projet de longue date du studio Illuminations de faire un film Mario. J’aurais pu citer la malaisante série "Zelda" des années 80/90 où tout le monde voulait pécho tout le monde, mais l’article est déjà extrêmement fourni comme ça. Il y a aussi l’importante liste de films centrés sur le jeu vidéo, comme "Ready Player One" ou le reboot de "Jumanji" pour ne parler que de films récents. Il s’agissait d’établir un nouveau concept de critique, mélangeant cinéma et pop-culture et quoi de mieux pour démarrer que de vous dresser une liste de film majoritairement mauvais MAIS divertissants dans leur nullité ? Le cinéma me passionne, les jeux-vidéos me passionnent. J’attends avec impatience le jour où les studios se rendront compte qu’un univers aussi vaste que celui-ci peut aisément s’affranchir des règles scolaires d’adaptation bête et méchante.
Remerciements à NCo (just_an_ellipsis), New Line Cinema, The Walt Disney Pictures France & Sony Playstation
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