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CRITIQUE POST-CONFINEMENT: "ALBA, LES OMBRES ERRANTES"

CRITIQUE POST-CONFINEMENT: "ALBA, LES OMBRES ERRANTES"

C'est difficile parfois de trouver de l'inspiration. Les cinémas fermés, point de choses trop inspirantes du côté des plates-formes de VOD, le temps passé affalés à attendre et un petit syndrome de la page blanche... L'envie de tout envoyer balader, un peu. Quelques jeux, quelques musiques, des films déjà vus mille fois. J'avais quelques idées. Edgar Wright, par exemple. J'écrirai un jour un article sur sa filmographie, que je trouve moultement inspirante. Mais là, à cet instant, le vide, le silence. Et puis je repense à quelque chose. Je sais, j'ai envie de parler d'un film extrêmement méconnu réalisé par un groupe de musique que j'aime énormément. Avant de parler du film, parlons d'abord du groupe.

 

Hypno5e est donc un groupe de Métal français, originaire de Montpellier. Refusant toute forme d'étiquette sur leur musique, ils tolèrent l'appellation de Métal Cinématographique. Pour résumer, le groupe opére un savant mélange de Métal Extrême (Death/Black en particulier), entrecoupant la violence des compositions par des instants atmosphériques somptueux et de nombreux extraits de film ou de livre pour donner davantage de consistances au tout. Les titres sont longs, denses, débordant d'émotion et je pourrais continuer encore longtemps à vous parler de la passion que j'ai pour ce groupe. Après trois albums d'une immense qualité, le groupe sort en 2018 un double projet en adéquation avec leur second groupe A Backward Glance on a Travel Road. Son nom : "Alba - Les Ombres Errantes". Un album acoustique qui accompagne le film du même nom réalisé par Emmanuel Jessua, chanteur et guitariste du groupe, visible sur YouTube.

 

CRITIQUE POST-CONFINEMENT: "ALBA, LES OMBRES ERRANTES"

La citation qui ouvre le film en résume plutôt bien la substance. Celle d'une légende Bolivienne parlant du Condamné, une âme qui erre parmi les vivants parce qu'elle n'a pas tenu la promesse qui l'engageait. Alba raconte l'histoire de Mickaël, un jeune homme revenant sur sa Bolivie natale pour retrouver son père, disparu quinze ans auparavant. Il renouera pour l'occasion avec son frère, resté terminer l'oeuvre du père; il rencontrera Christina, une ancienne élève de celui-ci dont ils s'éprendront et apprendront la disparition de la mère, restée à la Paz.

 

Au-delà de son scénario, c'est surtout la conception du film qui est intéressante. Nul doute qu'Emmanuel avait déjà sa trame en retournant tourner dans sa Bolivie natale, mais le fait que le tournage a évolué au gré des pérégrinations de l'équipe rend le film encore plus personnel, nous laissant entrevoir de possibles parallèles entre son personnage et lui-même, se montrant même pourquoi pas autobiographique. Et du parcours de son personnage verra le parallèle avec le fameux Condamné, celle d'un adulte en veille, essayant au travers de son voyage de renouer avec son passé pour combler un vide émotionnel qu'il a en lui.

 

Le film est lent, la mise en scène souligne à de nombreux instants le décalage de son personnage, perdu loin de chez lui dans un environnement qu'il ne connaît plus. Très proche du cinéma d'auteur qu'Hypno5e cite régulièrement dans sa musique, Alba souligne les moments de vie de son trio comme les rares instants lumineux qui jalonneront leur cheminement, plaçant aux moments judicieux des versions instrumentales de l'album du même nom.

 

C'est difficile de vraiment décrire le film, en lui-même, il ne révolutionne aucune forme dramatique et n'en a aucunement l'intention. Il cherche l'émotion, brute et direct, davantage dans la contemplation de l'environnement. Je parlais juste avant de la place de la musique, simple fond sonore lors des dialogues, mais vecteur d'émotion lors des transitions de lieu, symbolisé par ce road trip silencieux et réflexif. Finalement, ce n'est pas juste le voyage d'un homme perdu dans son passé que nous suivons, mais un parcours qui pourrait se superposer à notre propre existence, à nos regrets, nos pertes, notre nostalgie.

 

Comme un symbole, la mort de la mère de notre personnage brisera les derniers liens qui pouvaient encore le relier à son passé. Il ne fera pas le deuil, il obtiendra une clé pour avancer, cherchant une quelconque réponse dans l'immensité du désert, une terre d'errance où il se retrouvera guidé par une présence mystérieuse auprès de laquelle il affiche une certaine stupeur, mais également du réconfort. De décor en village, de rencontre en festivité, d'amour aux larmes, de nombreux sentiments se dégagent de ce film réalisé avec passion, sans doute libérateur pour le groupe après les immenses déboires de l'enregistrement de l'album précédent.

 

CRITIQUE POST-CONFINEMENT: "ALBA, LES OMBRES ERRANTES"

On va rapidement parler de l'album, conçu non pas comme simple instrumentation du film, mais comme un album à part entière. Les compositions ne suivent pas l'ordre du métrage et le rajout du chant permet une compréhension différente. On sent également que l'acoustique est la langue première du groupe, qui greffe par la suite l'électrique et sa violence émotionnelle. On ressent d'ailleurs à plusieurs instants les probables explosions qui ne viendront, évidemment, pas. Véritable bijou d'acoustique progressif, le disque reste difficile d'accès aux oreilles des non avertis, on parle de compositions dépassant les dix minutes, complexe, changeante, mais d'une beauté rare. À l'image du film, qui pourrait potentiellement décourager dans sa lenteur, mais qui révèle de véritable trésor de sensibilité et de douceur pour peu que l'âme s'y prête.

 

Il est difficile d'écrire quand on a peur de poser ses mots. Comme Alba, qui part d'une base scriptée avant de devenir le fruit d'improvisation. Nous avons tous besoin d'une lumière afin de quitter le chemin de l'errance et dans sa poésie, Alba offre l'exutoire de délicatesse qui nous manque encore pour simplement nous sentir vivant et heureux à nouveau. La poursuite du temps perdu est une chimère, vivre dans le passé est une torture et il nous faut parfois un immense électrochoc pour parvenir à avancer. Ou pour réussir à poser à nouveau des mots sur une page blanche.

 

Que fait-on ? On y retourne ?

 

NOTE: ★★★★★ 5/5

 

Remerciements à NCo (just_an_ellipsis) & hypno5e/ Pelagic Records

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