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CRITIQUE: #MANK

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Un nouveau film de David Fincher est toujours un petit évènement. Absent des cinémas depuis l’excellent "Gone Girl" (2014, déjà), le cinéaste s’est fait très discret depuis ce temps, tout en signant quelques épisodes en plus de la production des excellentes séries "House of Cards", "Mindhunter" et "Love, Death & Robots" avec Netflix. Avec un contexte sanitaire actuel faisant que les cinémas subissent une crise sans précédente, il est finalement peu étonnant de voir son nouveau film sortir directement sur la plate-forme. Une petite question tout de même, est-ce qu’on présente encore le bonhomme ?

Grand réalisateur de clip-vidéo dans les années 80, ayant vécu directement les déboires de jeunes réalisateurs dans l’industrie hollywoodienne avec le controversé "Alien 3", il a fini par la suite largement gagner ses galons en privilégiant les thrillers de haute volée à la mise en scène ingénieuse et millimétré. Un cinéma qu’on ne présente plus, tant il est très rapidement devenu culte. "Seven", "Fight Club", "Zodiac", tout en tentant une diversification talentueuse avec des films plus curieux ("The Social Network") et dramatique ("L’étrange histoire de Benjamin Button"). Réputé pour sa précision visuelle et son travail sur l’imagerie extrêmement poussée (utilisant les technologies numériques relativement récente avec génie dans "Zodiac" par exemple), Fincher s’est bâti sereinement une réputation qui n’est plus à prouver, si bien que l’avalanche d’avis dithyrambique sur son nouveau métrage m’a fait me poser la question de savoir si "Mank" était réellement un chef-d’œuvre survendu ou bien qu’il suffise que le nom de Fincher apparaisse pour directement attribuer une note parfaite à ses films.

Revenons sur "Mank", alors. Dans les faits, son univers m’a rappelé "Once Upon a Time in Hollywood" de Tarantino. Essayons d’étayer cette comparaison douteuse sur le papier. Dans les deux cas, il s’agit de traiter un sujet tout en digressant énormément sur le contexte de l’époque. Pour Tarantino, il s’agissait finalement de prendre un fait divers morbide et de le tordre pour amener son point de vue sur l’évolution du cinéma hollywoodien des années 60, entre renaissance d’un cinéma coincé dans ses carcans, acteurs vieillissant aux crépuscules de leurs carrières et insouciance d’une certaine jeunesse. Fincher choisit de s’intéresser à un film qui est encore cité aujourd’hui comme l’un des plus grands métrages de tous les temps, à savoir "Citizen Kane", en choisissant de mettre en avant son scénariste, Herman J. Mankiewicz (interprété par Gary Oldman), isolé à la campagne en 1940 et ayant un ultimatum de 60 jours lancé par Orson Welles pour venir à bout de l’histoire. Au milieu de tout cela, nous verrons régulièrement des flashbacks de la vie de Herman, de sa place dans une industrie cinématographique se relevant péniblement de la Grande Dépression de 1929, du combat politique entre Upton Sinclair et Franck Merriam et de la montée du Nazisme en Allemagne vu avec un peu de dédain par les personnalités cinématographiques. Un contexte historique souvent présenté grossièrement, probablement dans le but de nous immerger au milieu d’étouffantes discussions de comptoir sans queue ni tête.

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Comme de bien entendu, le film voudra insister sur les relations tumultueuses entre Herman et les producteurs d’un côté et des personnalités reconnues de l’époque de l’autre (notamment Louis B. Meyer - par Arliss Howard), qui fut vice-président de la MGM ou encore William Randolph Hearst (joué par Charles Dance), magnat de la presse qui inspirera une grande partie du personnage principal de "Citizen Kane"). Autour de tout ce petit monde graviteront quelques personnalités qui influeront sur la vie de Herman, quelle que soit l’époque, comme Marion Davies (maîtresse de Hearst et interprétée par Amanda Seyfried), son épouse Sara Mankiewicz (Tuppence Middleton) ou bien Rita Alexander (Lily Collins), qui veillera sur sa santé et sur l’écriture du scripte.

Pour terminer de digresser, "Mank" a également valeur sentimentale pour David Fincher puisqu’un premier jet du scénario est né début 90 par nul autre que Jack Fincher, son père. Mais le souhait absolu de vouloir tourner le film en noir et blanc annula le projet fin 90 et le scénario tomba dans l’oubli avant que Netflix ne permette au cinéaste de le reprendre (sans doute avec une liberté créative de plus en plus absente d’Hollywood). Plus encore que tout ça, que cette histoire de scénariste autodestructeur et de combat en vain contre le système cinématographique (quelques petites rancunes sur "Alien 3", au hasard ?), le parallèle avec la mise en scène de "Citizen Kane" est évident. Les flashbacks sont légion, les changements de dates également, les personnages nombreux et introduit très rapidement, si bien qu’il faudra rapidement rentrer dans le moule sous prétexte d’être brusquement sanctionné pour l’inattention. Le noir et blanc de l’image sont également particuliers à appréhender, surtout d’un réalisateur qui a révolutionné le numérique, face à l’œil d’aujourd’hui peu habitué à cet aspect chromatique qui est pourtant exceptionnellement bien géré par l’image. Les jeux de lumière, la colorimétrie (importante malgré le noir et blanc), le grain de l’image (les petites brûlures de pellicule), la luminosité (qui perce le noir de manière chirurgicale), ces genres de détail ne sont, comme d’habitude, jamais laissés au hasard (notamment dans les décors, poussant l’antan dans ces retranchements tout comme sachant sublimer des horizons simplistes), tout comme le son, quasi-mono, à l’ancienne, en fait, le tout porté par une BO d’époque par Trent Reznor, notamment.

Mais le film en lui-même, alors ? Eh bien revenons sur la comparaison avec "Once Upon a Time in Hollywood". Si vous êtes passionnés par l’histoire du cinéma, ou juste extrêmement curieux d’en savoir plus sur les tenants et aboutissants de l’histoire de cet Art pas si vieux que cela, il y a fort à parier que vous vous sentirez happé par l’histoire. Mais pour le reste ? C’est particulier. "Mank" est un film bavard, très bavard. Comme dit précédemment, les personnages sont quand même nombreux et de nombreux enjeux peuvent être décontenançant. On n’y parle finalement pas tant que ça de "Citizen Kane", mais on nous permet de bien mieux nous immerger dans son intrigue en l’a liant petit à petit au différent protagoniste de l’histoire. On aborde sans trop de précisions les pressions financières des studios, on a souvent affaire à des figures très manichéennes de grands patrons qui veulent surtout des sous en se montrant sans pitié dans leur gestion financière (comme cette séquence faussement larmoyante de Mayer pour faire baisser les salaires des employés). On a presque affaire à un documentaire de grande classe et on se rend rapidement compte que malgré l’origine du fameux Rosebud, "Citizen Kane" n’est qu’un prétexte ici, et non la finalité.

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"Mank" devient un film très personnel sur bien des aspects, rappelant qu’une simple idée peut faire travailler l’imaginaire jusqu’à l’émerveillement, mais également en amenant les pires des obsessions, notamment quand le cinéma devient outil de propagande pour mieux écraser ses ennemis politiques (qui a parlé des fameuses « fake news » ?), entraînant dans son cheminement de mensonge un sentiment de vanité des mauvais vainqueurs et poussant aux pires des exactions des réalisateurs se rendant compte avec stupeur et détresse de ce qu’ils ont causé. Sur ce point de vue de dénonciation, Fincher excelle et on retrouve d’ailleurs durant cette phase quelques-uns de ces vieux patterns (comme les déformations d’image, les fusions de plans donnant des altérations extrêmement tripante), mais pour le reste, difficile de ne pas admettre que Fincher se contente du beau, à défaut de pouvoir en faire bien plus, cette simplicité qui manque parfois d’en devenir fade. Même au niveau du traitement de ses personnages, c’est assez limité, malgré une performance toujours incroyable de Gary Oldman, son personnage reste un torturé Fincherien pur jus, vertement provocateur et moqueur autant qu’adepte de sa propre autodestruction, précipitant souvent son entourage dans sa propre déchéance.

À ce jeu, Oldman damne largement le pion à une troupe qui s’en sort pourtant plus que correctement, a commencé par l’une des figures les plus importantes, joué malicieusement par Amanda Seyfried, avenante au possible, mais pas aussi niaise que son personnage ne semble le démontrer. Le charme de Lily Collins fonctionne également à merveille, son duo avec le personnage de Oldman, entre la fronde et la complicité, est d’une tendresse à toute épreuve, même si certaines interactions apparaissent quelque peu superficielles. Mais au-delà de cela, les flash-backs continus empêchent alors de nouer une quelconque empathie pour certains personnages, notamment Joseph Mankiewicz/Tom Pelphrey, dont les apparitions, pourtant nombreuses, ne semblent pas servir à grand-chose (sinon donner un contexte familial au personnage principal alors que l’ambivalence et les oppositions entre les deux frères sont passionnantes) et surtout Sara Mankiewicz, qui a pourtant un rôle central dans le fait que le personnage principal parvienne à rester à flot, mais qui n’a pas suffisamment d’impact ici, si ce n’est de montrer sa détermination à soutenir son mari dans les catastrophes qu’ils s’infligent autant qu’il cause. Tout comme les rares punchlines que nous assènent le film, tentant naïvement de nous faire réfléchir sur l’avenir du cinéma d’antan en perspective avec celui d’aujourd’hui.

Et sur ce point, le film ne semble jamais être très clair et se bloque lui-même le cul entre deux chaises. On se demande alors si Fincher a envie d’asséner quelques taquets bien sentis au Major qui veulent du grand spectacle pour attirer les foules (combien de fois on cite "King Kong" ici ?) ou bien se mélange à la mélasse pour aboutir d’un spectacle très consensuel qui laisse circonspect. Peut-être alors que cette dualité de point de vue est parfaitement voulue par son réalisateur, mais il manque souvent une âme à un film qui enchaîne les séquences en oubliant d’y injecter une véritable émotion. Et là aussi, le surjeu de certains personnages trouve alors une possible explication dans le fait de vouloir également apposer ici le rythme du cinéma des 40’s, ce qui peut être très immersif, j’en conviens, mais également confiner au ridicule quand rien ne semble fonctionner dans leurs interactions. Des personnages qui vivraient alors comme dans un film, jouant des acteurs jouant eux-mêmes des acteurs. Que penser de cette réflexion, finalement ?

Fincher se fait sage pour son retour au cinéma, mais c’est peut-être mieux ainsi, d’une certaine manière. Dans une histoire tiède se croisant avec un documentarisme qui peut en rebuter plus d’un, le cinéaste effectue sa propre déclaration au cinéma, aux acteurs de l’ombre que l’on oublie trop souvent jusqu’aux crapules qui dirigent vertement un art transformé en industrie. "Mank" est un film des plus personnels, que chacun devra s’attribuer avec le regard qui lui convient le mieux. Il en passionnera beaucoup, il en ennuiera une bonne partie également, s’adressant à hier pour mieux démontrer à aujourd’hui ses failles, il en réside une œuvre peut-être un peu mineure dans laquelle il est très facile de se plonger, mais tout aussi simple d’en décrocher. Fincher se serait-il mis en pilotage automatique après l’exigent "Mindhunter" ? On ressent la satire, on ressent la caricature, mais le film manque véritablement de folie.

 

NOTE: ★★★★☆  3,5 - 4/5

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Remerciements à NCo (just_an_ellipsis) & Netflix France

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