2 Juillet 2021
Après une première expérience hollywoodienne décevante sur "Mimic" (1997), Guillermo del Toro part tourner son troisième long-métrage en Espagne grâce à l’appui financier du réalisateur Pedro Almodóvar et de son frère Augustín, emballés par le premier film du Mexicain ("Cronos", 1993). Avec "L’Échine du diable", Del Toro s’impose d’emblée comme l’un des maîtres du cinéma d’horreur poétique. À partir d’une histoire classique de fantôme, le réalisateur se démarque en intégrant des éléments du mélodrame historique, du film à suspense et du récit d’apprentissage. Fervent cinéphile, Guillermo del Toro ponctue également son film de multiples références, allant du surréalisme de Luis Buñuel ("Los Olvidados") au giallo de Dario Argento ("Suspiria"), à travers des images qui conjuguent l’onirisme à la terreur, la poésie à la noirceur.
Doté d’une interprétation remarquable, de Marisa Paredes ("Talons aiguilles") à Eduardo Noriega ("Ouvre les yeux") en passant par les nouveaux venus Fernando Tielve et Iñigo Garcés, "L’Échine du diable" est un conte cruel sur l’enfance empreint de nostalgie où l’horreur n’est pas forcément là où il paraît. Film fondateur du nouveau cinéma fantastique espagnol avec "Les Autres" d’Alejandro Amenábar (2001), "L’Échine du diable" est de retour le 14 juillet dans les salles obscures et pour le plus grand bonheur des cinéphiles, en version restaurée 2K!
« L’action du Labyrinthe de Pan se situe en Espagne en 1944, cinq ans après l’action de L’Échine du diable. Le contexte est celui de la Seconde Guerre mondiale, mais Del Toro choisit d’insister sur une conflagration qui semble plus intestine, la Guerre civile d’Espagne – conflit qui opposa les nationalistes aux républicains de juillet 1936 à mars 1939 et dont on voit les derniers soubresauts dans L’Échine du diable. Dans les deux cas, à l’instar des contes, les personnages sont des archétypes, s’avèrent bons ou mauvais, adjuvants ou opposants. Or cette forme de radicalité reposant sur la simplicité des traits sert la compréhension d’un conflit mettant aux prises ceux qui choisissent d’être libres d’agir par eux-mêmes et ceux qui se mettent au service d’une pensée unique. Et c’est par l’intrusion du fantastique et du merveilleux que l’histoire gagne en complexité, en intensité dramatique. Le contexte historique n’est pas diminué mais il devient tour à tour central et périphérique dans un ensemble englobant des tensions puisées dans les mondes réel et imaginaire.
À l’image de la bombe dans L’Échine du diable: elle se dresse au cœur de la cour, vidée de son potentiel de destruction mais lourde des menaces extérieures et souterraines dont elle semble se faire l’écho; elle n’explose pas, comme pour dire une Espagne sur la brèche, suspendue à jamais dans les luttes fratricides. Une explosion aura bien lieu, provoquée par Jacinto prêt à sacrifier des orphelins comme lui pour mettre la main sur l’or des républicains. Son geste fou, monstrueux, prouve que le ver est dans le fruit, que l’Espagne est prête à sacrifier les générations les plus jeunes. La séquence prolonge ainsi intra muros la scène sordide à laquelle Casares assiste en se rendant au village pour vendre sa liqueur: neuf hommes dont sept font partie des Brigades internationales sont alignés contre un mur et abattus l’un après l’autre d’une balle dans la tête. Nulle échappatoire: Casares a beau préparer les enfants à fuir, l’orphelinat abrite en ses murs leur bourreau. »
Extrait du livre "Guillermo del Toro: des hommes, des dieux et des monstres" écrit par Charlotte Largeron (Rouge profond, 2013).
Courtesy of Carlotta Films
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