1 Juillet 2021
Le premier, un film muet en noir et blanc, tourné par un virtuose du septième art de la première moitié du XXème siècle. Le deuxième, un film en couleur d’un cinéaste qui a laissé derrière lui des monuments du cinéma. Jacques de Baroncelli et Julien Duvivier ont tous deux adapté le roman de Pierre Louÿs, La Femme et le pantin. Ils ne furent pas les seuls. Mais au-delà de cette adaptation, les deux réalisateurs ont en commun d’avoir marqué l’histoire du cinéma, l’un surtout avec ses films muets, l’autre essentiellement avec ses films parlants. La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et Pathé viennent de restaurer ces deux exceptionnelles adaptations de l’œuvre du romancier.
"La Femme et le pantin" de Jacques de Baroncelli (1929)
Réalisateur prolifique, Jacques de Baroncelli a tourné 81 films de 1915 à 1947. Si son œuvre a difficilement traversé la transition du cinéma muet au cinéma parlant, on retiendra de lui un grand nombre de films muets, pépites du septième art, comme "La Femme et le pantin", qu’il réalise en 1929.
Avec ce film, le cinéaste signe une adaptation troublante et sensuelle du roman. Filmer la séduction sans passer par des mots est un véritable défi pour le cinéma muet. Jacques de Baroncelli s’en sort avec grâce. Sa Concha, danseuse enivrante qui fait chavirer le cœur du héros, est filmée avec beaucoup de modernité. Modernité des cadrages et du montage rapide qui permettent ainsi de dresser le portrait d’une héroïne, moderne elle aussi, vivante et assurée, n’hésitant pas à s’allonger par terre pour converser avec l’homme qui la désire comme un fou. Dans cette œuvre rythmée, Jacques de Baroncelli se permet tout et tire parti de ce qui est l’essence même du roman: la fascination pour des corps qui se dévoilent et se dérobent, qui s’offrent pour mieux se refuser aussitôt.
La Concha de Jacques de Baroncelli est une jeune femme ingénue et perverse qui prendra sa revanche sociale face à un homme persuadé de pouvoir tout posséder grâce à sa fortune. En se dérobant à lui, elle en fait l’esclave de son désir. Dans ce rôle, Conchita Montenegro est sublime. Dépouillée de toute emphase, avec son sourire féroce réhaussé par son regard séducteur, elle porte cette catastrophe des sentiments à venir avec une grâce et une vitalité splendide. Pour elle et pour l’ingéniosité de son réalisateur, cette adaptation de La Femme et le Pantin est un tourbillon cinématographique inoubliable.
"La Femme et le pantin" de Julien Duvivier (1959)
Si cette adaptation de Julien Duvivier n’est pas, selon son réalisateur, son film le plus réussi, elle mérite néanmoins de ne pas être oubliée dans l’œuvre de ce cinéaste qui n’a cessé de travaillé les thèmes du mensonge, la cupidité, la souffrance et la jalousie. Nul doute que le cinéaste ait lui aussi été envoûté par le roman de Pierre Louÿs.
Dans La Femme et le pantin de Duvivier, celui qui souffre, c’est Matteo Diaz (Antonio Vilar) face à cette femme fatale et destructrice, exigeant de son amant le détachement suprême. Concha s’appelle ici Éva, elle a les traits de Brigitte Bardot. L’actrice, qui n’a sans doute jamais été aussi aguicheuse, déborde de sensualité et de liberté. Deux ans après Et Dieu... créa la femme, Duvivier fait ce que Vadim n’a pas fait, jouant plus sur la volupté du mouvement porté par les danses locales que sur la nudité provocatrice. En belle scandaleuse, Bardot campe ce personnage inouï filmé comme si elle se trouvait au beau milieu d’une corrida, l’amant représentant chez Duvivier le taureau que l’on travaille à la cape.
Aux côtés de Duvivier, le dialoguiste Marcel Achard et le scénariste Jean Aurenche ont signé l’adaptation, et les décors d’anthologie de Georges Wakhevitch se marient parfaitement aux images colorées du cinéaste qui animent le film. Habité par la volonté d’explorer tous les genres cinématographiques, Duvivier confirme, avec La Femme et le pantin, que ce film sensuel ne ressemble à aucun autre de son œuvre.
Courtesy of Pathé Films
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