23 Septembre 2019
Durant l’occupation allemande, le cinéma français connut une période durant laquelle il fallut composer avec la censure. Ce fut l’occasion pour certains grands cinéastes de se diriger vers le cinéma fantastique, comme le fit Marcel Carné avec ses célèbres "Visiteurs du soir". De la même façon, Maurice Tourneur choisit d’adapter un poème de Gérard de Nerval, "La main enchantée" au grand écran.
Même si d’énormes libertés sont prises par rapport au texte d’origine, le film est, à l’arrivée, un véritable bijou du cinéma fantastique, dont la genèse mériterait à elle seule un long article. En effet, c’est sous l’égide de la maison de production Continental que fut tourné ce film. Or, cette société fut créée par l’occupant nazi, afin de ne produire que des films vides de tout message parce que contrôlés par la propagande allemande de l'époque. Paradoxalement, la Continental fut l’occasion pour certains scénaristes juifs ou résistants de porter leur talent à l’écran. Par ajouter à l’ironie de la situation, nombre de ceux qui œuvrèrent au sein des productions Continental en payèrent le prix à la Libération.
Interprété par un Pierre Fresnay habité, le héros entraîne le spectateur dans sa descente aux enfers, jusqu’à une fin digne du "pitch" de base, que voici: "La main du diable" commence dans un refuge de montagne, où touristes et randonneurs voient surgir un homme aux abois, portant contre lui un paquet auquel il semble tenir comme à la prunelle de ses yeux. A la défaveur d’un orage, le chalet est bientôt plongé dans l’obscurité. Lorsque revient la lumière, le paquet a disparu, au désespoir de l’homme. Celui-ci va alors raconter son étrange histoire à ceux qui l’entoure...
Je n’en dirais pas plus sur la suite de l’histoire, ne pouvant que vous conseiller de visionner ce film, oublié du grand public, malgré le succès qu’il reçut à sa sortie.
Alors, certes, on peut reprocher à ce film d’être daté (puisqu’il a plus de soixante-dix ans !), notamment dans son interprétation, quelque peu "surjouée". La distribution est cependant remarquable, qu’il s’agisse de Pierre Fresnay (déjà cité) ou des seconds rôles, comme Josseline Gael ou Noël Roquevert, pour ne citer qu’eux.
La réalisation est, quant à elle, d’une remarquable qualité. Si Tourneur dut partager la mise en scène avec son assistant Jean Devaivre en fin de tournage, nombre de plans sont de toute beauté, certains revendiquant leur filiation avec les grands classiques du cinéma allemand (on songe à Murnau et à Lang, évidemment). Oscillant avec brio entre légèreté et drame fantastique, le réalisateur transforme une histoire classique (on n’est pas très loin du mythe de Faust) en un film qu’on n’oublie pas.
Jouant avec maestria de la suggestion plus que de la démonstration (comme le feront plus tard des cinéastes tels que Roman Polanski dans "Rosemary’s Baby" ou Steven Spielberg dans "Jaws"), Tourneur livre ici un film inquiétant, impressionnant et inoubliable. Relecture d’un mythe classique, "La main du diable" est un classique du cinéma fantastique français, hélas trop peu connu du grand public.
Sorti en 2010 en DVD et Blu-Ray, ce film est désormais accessible plus facilement aux cinéphiles, dans une copie restaurée avec soin par Gaumont. Je ne saurais donc trop vous recommander de vous procurer ce chef d’œuvre oublié du cinéma français.
Remerciements à Maison Heinrich Heine Paris & Laurent avec "Deuxième Séance" (http://deuxiemeseance.over-blog.com)
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