11 Octobre 2013
A l'occasion de la sortie prochaine du film-évènement "L'Extravagant Voyage Du Jeune Et Prodigieux T.S. Spivet" de Jean-Pierre Jeunet, nous en avons profité pour discuter avec Julien Lecat, réalisateur du making-of du film qui revient sur ce métier méconnu du grand public et peu reconnu par la profession. Interview !
Bonjour Julien Lecat, tout d'abord peux-tu nous raconter brièvement ton parcours professionnel ?
Julien Lecat : "J'ai fait des études dans l'ingénierie de l'image, rien qui me satisfaisait complètement. Grand cinéphile, j'ai profité de mes connaissances en programmation pour construire des sites Internet sur des réalisateurs que j'aimais bien, dont Jean-Pierre Jeunet. Il en a eu écho et j'ai pu le rencontrer sur le tournage d'AMELIE POULAIN. Je lui ai montré des petits courts métrages que j'avais réalisés avec des amis. Trois ans après, je lui envoyais un e-mail en lui demandant s'il avait quelqu'un pour le making-of du LONG DIMANCHE DE FIANCAILLES. Il m'a répondu : "Non. Ca t'intéresse ?", j'ai dit : "Bah oui !". Un mois après j'étais chez Warner pour signer un contrat. Une première expérience formidable à tous les niveaux. Jeunet aime les making-ofs et ça change beaucoup de choses quand un réalisateur s'y intéresse ! Il a aussi toujours cherché à m'impliquer dans le tournage lui-même (soit en assistant mise en scène, soit en cadreur 2ème caméra, soit en me demandant de monter une maquette du film en direct sur le tournage). J'ai aussi fait des making-ofs pour d'autres réalisateurs comme Kounen ou Schoendoerffer, et réalisé plusieurs courts métrages produits : DEMAIN LA VEILLE (avec Stéphane Metzger, Nicky Naudé et François Levantal), puis LE RESCAPE DE L'HIPPOCAMPE (avec Juliette, Jean-Pierre Matins et Simon Buret) qui fait partie de la Collection Canal+ 2009."
Pour ceux qui ne connaissent pas le métier, qu'est-ce qu'un réalisateur de making-of ?
J.L. : "Ca nous arrive encore aujourd'hui d'entendre sur un plateau : "Ah c'est toi qui fais le bêtisier ?" (rires). Un making-of est un document vidéo qui aborde un ou plusieurs aspects de la fabrication d'un film. Il a souvent deux vocations : l'une marketing qui alimente la promotion d'un film lors de sa sortie, l'autre documentaire qui développe les aspects humains et/ou techniques de l'aventure. Comme toute oeuvre audiovisuelle, il y a des réalisateurs qui y consacrent du temps et de l'énergie : les réalisateurs de making-of en assurent souvent les prises de vue et le montage des différentes versions. Ce sont aussi souvent des réalisateurs de fiction et de documentaires, qui ont un vrai point de vue à apporter : il ne s'agit pas seulement de filmer les fonds verts et les fous rires des comédiens ... Beaucoup de grands making-ofs ont marqué l'histoire du cinéma et certains sont étudiés dans les écoles. C'est un vrai métier à part entière qui mérite d'être mieux considéré."
Selon toi, quelles sont les qualités d'un réalisateur de making-of ?
J.L. : "La discrétion et la pudeur avant tout. On n'est pas des paparazzis. Il faut réussir à capter l'intimité d'un tournage mais dans le travail. Les techniciens et les comédiens n'aiment pas être "espionnés" ; il faut acquérir leur confiance en leur montrant qu'on n'est pas là pour exploiter leur image. Pour ça c'est bien aussi d'avoir une première idée de traitement : qu'est-ce qu'on va raconter et comment ? Il faut aussi essayer d'être original, comme en fiction : ne pas refaire ce qui a déjà été vu mille fois."
Avec plusieurs auteurs et réalisateurs de making-of, vous avez créé l'association A.R.M.O.* Explique-nous le concept et comment y adhérer ?
J.L. : "L'idée première est de défendre notre travail, autant les conditions dans lesquelles on le réalise, que le résultat. Parce qu'un making-of n'est pas le film lui-même, certains producteurs rechignent à dépenser de l'argent pour sa fabrication. Parfois ils refilent même un camescope à un stagiaire ou un membre de la famille qui, souvent, filme n'importe quoi ... Ils se focalisent sur le tournage et oublient un peu qu'un long métrage doit être vu et donc qu'il faudra donner envie aux gens d'aller le voir (et ensuite d'acheter le DVD). Il faut donc anticiper la matière qui sera nécessaire (images du tournage, interviews ...), la collecter et en faire quelque chose d'intéressant qui, à la sortie du film, excitera la curiosité du public sans en gâcher l'expérience (et la prolongera de façon intelligente à la sortie du DVD). Aux Etats-Unis, ils ont un sens du buzz et du marketing assez dingue ; tout est super carré, parfois trop. Ici on improvise un peu, il n'y a aucune règle et aucune convention qui cadre cette profession. Il y a pourtant des making-ofs sur quasiment tous les films depuis dix ans ! Pourquoi un photographe de plateau a-t-il un statut, un salaire minimal déterminé par la convention, et pas un vidéaste réalisateur de making-of ? C'est absurde ! On a l'impression que, pour certains, notre travail est un pur loisir. Combien d'entre nous ont déjà entendu : "Tu peux nous faire un module web vite fait là ? C'est pas un montage hein, tu nous fais juste une sélection !" (sous-entendu "on n'a pas d'argent pour ce travail") ... Le pire, c'est d'accepter une toute petite enveloppe et se rendre compte ensuite sur le tournage que tous les chefs de poste sont à 120% de leur barème syndical. C'est très vexant."
* A.R.M.O. (Association Des Réalisateurs De Making-Of) :
Question pratique : Est-ce qu'un réalisateur de making-of doit travailler avec son propre matériel ?
J.L. : "Pas toujours, mais c'est souvent une condition demandée. On essaye alors péniblement de négocier un dédommagement mais, dans la tête de certains, comme ce matériel nous appartient, il ne coûte rien ! (rires). Caméras, micros, stations de montage : on doit tout acheter, entretenir, et renouveler tous les 3 ou 4 ans ... Somme toute, sur les films à petits budgets, un réalisateur de making-of cumule souvent cadrage, montage, étalonnage, mixage, service de location de matériel et coordination de production. Ca mériterait un joli statut ça, non ? (rires)."
Quels sont tes futurs projets cinématographiques et de making-ofs ?
J.L. : "Je finis actuellement le making-of documentaire de T.S. SPIVET de Jean-Pierre Jeunet qui fera 80min environ. C'était une grande et longue aventure ! Il y avait beaucoup de matière : tournage au Canada en anglais, avec un enfant dans le rôle principal, des trains de marchandises, un travail très approfondi de la 3D ... Les moyens ont donc été débloqués pour faire les choses bien. Gaumont m'a demandé d'en tirer toute la matière pour les télés et les sites d'actus cinéma, ainsi que 4 modules promotionnels qui sont actuellement visibles sur le web. Aujourd'hui, j'ai envie de me laisser un peu de temps pour mes projets personnels ... Développer un long métrage par exemple ! Je referai probablement du making-of mais je ne suis pas pressé ... A moins que Jeff Nichols, James Gray ou Paul Thomas Anderson décident de venir tourner en Europe demain ! (rires)."
Propos recueillis par Nicolas CABELLIC
Courtesy of Gaumont Distribution, Epithète Films, Tapioca Films & Julien Lecat (Photos : ©Yann Thijs)
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