Planète Cinéphile

Cette semaine

L'AUTRE SORTIE DE LA SEMAINE : "12 YEARS A SLAVE"

12 Years a Slave

 

 

Beaucoup de nouvelles sorties (trop ?) cette semaine, puisque l'on retrouvera dans les salles françaises, dès ce Mercredi : l'ultime chef-d'oeuvre de Hayao Miyazaki "Le Vent Se Lève", la comédie romantique "Prêt À Tout" de Nicolas Cuche, le drame "Une Autre Vie" d'Emmanuel Mouret, la comédie dramatique "Lulu Femme Nue" de Solveig Anspach, la comédie US "Match Retour" de Peter Segal, l'autre comédie française "Belle Comme La Femme D'Un Autre" de Catherine Castel, la comédie franco-sénégalaise "Afrik'Aioli" de Christian Philibert, le drame "Les Enfants Rouges" de Santiago Amigorena, la resortie au Champo (Paris) du "Docteur Folamour " de Stanley Kubrick, les documentaires "Le Cinéma Français Se Porte Bien" de Stéphane Arnoux, Jean-Baptiste Germain, Chiara Malta & "Au Bord Du Monde" de Claus Drexel, sans oublier l'un des grands favoris aux prochains Oscars , "12 Years A Slave" de Steve McQueen. "Planète Cinéphile" vous propose la lecture des notes de production, accompagnée de featurettes du film.

 

 

 

 

Inspiré des mémoires de Solomon Northup, "12 Years A Slave", le dernier film de Steve McQueen, raconte l’histoire extraordinaire d’un père de famille new-yorkais (Chiwetel Ejiofor), enlevé et réduit en esclavage, puis envoyé sur une plantation de Louisiane, et retrace son inaltérable quête de liberté pour retrouver les siens. Familier des histoires fortes, McQueen ("Shame" et "Hunger") a commencé à travailler sur ce projet avant même de découvrir le livre de Northup. L’esclavage était un sujet qui l’intéressait, mais il voulait l’explorer d’un point de vue novateur : celui d’un homme qui a connu la liberté, mais également la servitude la plus injuste. Le réalisateur savait que certains esclaves du Sud ont été kidnappés dans les États du Nord, mais ce n’est que bien plus tard qu’il a découvert une autobiographie relatant précisément une telle expérience.

 

« Je voulais parler de l’esclavage, mais il fait partie de ces sujets dont on se demande sous quel angle les aborder. J’aimais l’idée de commencer le récit avec un personnage libre – à l’image de tous les spectateurs qui découvrent ce film –, un simple père de famille qui est réduit en esclavage suite à un enlèvement, explique le réalisateur. Je l’ai vu [Solomon] comme un personnage capable d’entraîner le spectateur dans les méandres nauséabonds de l’histoire de l’esclavage. » 

 

C’est en mentionnant ce thème à sa femme Bianca que celle-ci a déniché le livre de Solomon Northup, ouvrage qui a bouleversé la société américaine à l’époque de sa publication, mais qui n’est plus très connu de nos jours. « Ma femme a trouvé ce livre et dès que je l’ai ouvert, je l’ai lu d’une seule traite. J’ai été choqué et fasciné par cette histoire extraordinaire. Ça me rappelait presque Pinocchio ou un conte des frères Grimm – l’histoire de cet homme arraché aux siens et soumis à une longue succession d’épreuves, mais pour qui brille encore une lumière au bout du tunnel. » 

 

Comme beaucoup, McQueen ne pouvait rester insensible aux talents de narrateur de Solomon, l’un des rares qui aient su raconter au monde entier la réalité de l’esclavage vécue de l’intérieur. Aussi choquante soit-elle, son histoire trouve un écho dans le monde d’aujourd’hui, notamment parce que sa quête, faite de courage moral et physique, finit par l’enrichir. C’est aussi un témoignage douloureux et sincère qui, comme toute grande œuvre littéraire, nous interroge : qu’aurions-nous fait à sa place ?
2013 marque le 160e anniversaire de la libération de Northup et il était donc d’autant plus urgent pour le réalisateur de raconter cette histoire : « Ce récit a beaucoup plus d’ampleur que tout ce que j’ai pu lire ou voir récemment, dit-il. Je n’arrive pas à croire que je n’aie jamais entendu parler de ce livre. Comment est-ce possible ? La plupart des gens aux États-Unis à qui je l’ai mentionné n’en ont jamais entendu parler non plus. Pour moi, ce livre – récit incroyable d’un homme plongé dans un monde d’une inhumanité absolue – est aussi essentiel à l’histoire américaine que le Journal d’Anne Franck l’est à l’histoire européenne. Tout le monde connaît cette époque de l’histoire américaine, et pourtant je pense que de nombreux éléments vont surprendre le spectateur, comme ils m’ont moi-même surpris. C’est un honneur et un privilège d’avoir pu adapter ce livre et fait connaître cette histoire au public. »


Réputé pour sa capacité à enchaîner des scènes émotionnellement fortes, voire dérangeantes, avec des cadrages à la beauté formelle, digne de tableaux, McQueen a eu ici l’occasion de travailler davantage encore son style si particulier, tout en pouvant affiner ses talents de narrateur.


Au final, c’est l’histoire de 12 Years a Slave qui a inspiré le réalisateur, car il s’agit d’un récit d’une tristesse indicible, mais qui est raconté avec une dignité et une détermination de tous les instants. « Au fond, cette histoire est avant tout celle d’une famille, et parle de l’espoir de retrouver ceux qu’on aime », résume-t-il. « C’est une histoire extraordinaire et extrêmement émouvante. Cela nous a immédiatement permis d’aborder ce thème avec le point de vue qu’on recherchait, un cadre temporel assez long pour pouvoir vraiment comprendre ou essayer de comprendre ce qu’était l’esclavage, et ce que cela signifiait au quotidien », ajoute la productrice Dede Gardner.

 

 



Le livre

 
En 1853, le livre 12 Years a Slave, récit de Solomon Northup à David Wilson de ses 12 années de captivité sur plusieurs plantations de Louisiane, devient un best-seller. Les lecteurs apprécient l’ouvrage car il aborde un sujet tabou – la vie quotidienne des esclaves – et révèle ce qu’implique d’« appartenir » à un maître, qu’il soit sans pitié ou apparemment bienveillant. Parallèlement, il dépeint un tableau complexe des implications morales, émotionnelles et spirituelles de l’esclavage – la soi-disant « institution particulière » (Peculiar Institution) – sur toutes sortes d’individus, des esclaves eux-mêmes issus de différents milieux jusqu’aux propriétaires des plantations. Ainsi, de manière plus profonde, ce livre parle aussi de l’esprit humain et de son caractère indestructible ...


Rédigé un an seulement après la libération de Solomon et neuf ans avant le début de la guerre de Sécession, l’autobiographie de Northup fait désormais partie intégrante du débat national sur l’avenir de l’esclavage et rencontre de nombreux détracteurs, notamment chez les esclavagistes décrivant des conditions de vie idylliques. Northup a dit lui-même qu’en racontant son histoire et en révélant la grande diversité de personnalités et d’attitudes au sein du système des plantations, il était « déterminé à montrer l’institution de l’esclavage tel qu’[il] l’a vécu et connu. » Nombre de lecteurs ont été émus par le courage dont il a fait preuve non seulement pour raconter ce qui lui est arrivé, mais aussi pour en donner des détails précis. Le grand homme d’État américain Frederick Douglass, qui était né esclave et qui a également publié en 1845 une autobiographie de tout premier plan a pu dire de Northup : « Pensez-y ! Pendant trente ans, un homme, plein d’espoir, mais aussi traversé par des angoisses et des ambitions, a une femme et des enfants qui lui donnent les noms d’époux et de père, et un foyer, aussi humble soit-il, mais néanmoins un foyer ; puis, pendant douze ans, il est réduit à n’être qu’un objet, un esclave rangé dans la même catégorie que les mules et les chevaux et traité avec moins de considération que ces derniers ... Oh, c’est horrible ! Cela glace le sang de penser que de telles choses existent ... » 

 

Malgré sa réputation et son statut de document historique, 12 Years a Slave a failli disparaître et le livre a été épuisé pendant tout le XXe siècle, ou presque. Il aurait bien pu être perdu à tout jamais si, en 1968, l’historienne Sue Eakin n’avait fait revivre la mémoire de Northup en se référant au livre au cours du débat sur les droits civiques : elle établit alors l’authenticité de l’ouvrage en validant l’existence de Northup et de tout ce qu’il raconte dans ses mémoires. Depuis, il est devenu l’un des récits les plus
réputés sur l’esclavage, même s’il n’a pas réussi à marquer durablement l’inconscient collectif et la culture contemporaine aux États-Unis.


Le réalisateur Steve McQueen tenait à rendre ce récit accessible au public d’aujourd’hui et restituer à Northup la place qui est la sienne. « Il s’agit là d’une histoire universelle et nous la racontons, je pense, à un moment opportun, explique-t-il. Regardez autour de vous : nous voyons chaque jour les répercussions de l’esclavage, et c’est un phénomène qui est toujours présent. Mais on peut également découvrir cette histoire de nos jours, et y réfléchir nous permet de comprendre comment le passé influe encore sur le présent. Ce qui rend cette réflexion si intéressante, c’est que nous sommes tous des Solomon Northup. Plus on avance dans le récit, plus on s’identifie à Solomon et on se demande si on aurait eu son courage et sa dignité. »

 

 

 

 

Adaptation et développement du scénario


Afin de captiver immédiatement le spectateur, McQueen s’est associé au romancier et scénariste John Ridley. Ce dernier a été aussitôt séduit non seulement par ce récit audacieux d’une vie vécue dans des circonstances terribles, mais aussi par son côté atemporel qui relève de l’odyssée – un long voyage qui transforme à tout jamais la vie de son héros, un périple semé d’embûches, mais qui s’attache avant tout à la persévérance d’un homme pour retourner vers les siens. « J’ai toujours vu cette histoire comme l’odyssée d’un homme pour retrouver son foyer. Aujourd’hui, tout le monde peut sauter dans un avion à New York pour faire un aller-retour en Louisiane. Mais quand on pense à cette époque, à la vie d’un homme qui essaye non seulement de retrouver les siens, mais aussi de reconquérir ses droits, sa liberté et sa digité, on imagine qu’il s’agit là de franchir des montagnes, tant physiques que mentales. Nous racontons donc l’histoire de cet immense voyage au cours duquel Solomon Northup comprend la portée de ce que la plupart d’entre nous prennent pour argent comptant : le privilège d’être un homme libre en Amérique », commente Ridley. Bien que cette aventure se déroule au XIXe siècle, Ridley lui a aussi trouvé un écho tout contemporain : « Les bonnes histoires doivent nous parler immédiatement, dit-il. Que ce soit hier ou aujourd’hui, Solomon est avant tout une personnalité hors du commun. »


Ridley et McQueen ont tout d’abord mené des recherches approfondies sur le système de l’esclavage américain qui était, par bien des aspects, une extension du système économique global qui a peu à peu développé sa propre infrastructure, à
la fois imposante et brutale. Ils ont également étudié l’économie du coton, qui s’est profondément modifiée suite à l’invention de l’égreneuse, le « cotton gin », par Eli Whitney, permettant la production de masse et faisant de l’esclavage un pilier central de l’économie du Sud du pays. Ils ont aussi appris à quel point le travail des esclaves a véritablement permis à l’Amérique de bâtir sa richesse et comment les plantations d’esclaves sont devenues de plus en plus répressives et violentes, broyant des familles entières afin de maintenir cette pratique abjecte et immorale – pratique qui s’est ancrée dans l’inconscient collectif de la nation américaine tout en la divisant profondément.


« Nous avons beaucoup appris sur le système de l’esclavage, note Ridley. Quand on y pense, des centaines d’années après, on imagine qu’il s’agissait de personnes noires qui travaillaient dans des champs et c’est à peu près tout. Mais on parle d’une institution qui supprimait le libre-arbitre, conçue pour déshumaniser et qui a donc dû devenir de plus en plus élaborée. On racontait des histoires aux Blancs afin qu’ils pensent que les Noirs devaient être esclaves, leur expliquant pourquoi ils étaient inférieurs et pourquoi personne ne devrait se préoccuper de leurs droits. Et à partir de là, l’esclavage s’est étendu de façon exponentielle au fil des ans. »


Aucune distance ne pouvait être prise par rapport à la souffrance physique et mentale endurée par Northup, mais le cœur de l’histoire devait se concentrer sur la manière dont ces épreuves allaient malgré tout réveiller l’espoir en lui. « Le plus facile, avec une telle histoire, serait de reculer et de ne pas faire face à ce qui s’est passé, reconnaît volontiers Ridley. Mais la plus grande difficulté pour nous est de nous confronter à ce que nous sommes, au fait que nous avons parcouru un si long chemin en tant que nation et que nous avons accompli tant de choses jusqu’à présent. Je pense que cela nous donne de l’espoir pour l’avenir. Pour moi, '12 YEARS A SLAVE' est avant tout un film sur l’espoir, sur l’obligation de ne jamais renoncer et de toujours croire en sa capacité à surmonter les difficultés. C’est la vérité de cette histoire pour Solomon en tant qu’individu et pour chacun d’entre nous en tant que citoyens de cette nation. »

 

 


 

Ridley espère que le film aidera les spectateurs à ne pas oublier un passé qu’il estime devoir faire partie intégrante de l’Amérique et de son avenir. « D’une certaine manière, c’est une belle ironie que les écoliers n’étudient pas ce livre. Steve et moi pensons que nous sommes raisonnablement cultivés et pourtant nous avons trouvé ce livre complètement par hasard. J’espère qu’après la sortie de ce film, plus personne ne découvrira cette histoire par hasard », ajoute-t-il encore. Un grand coup de pouce a été donné au film lorsque Brad Pitt et sa société de production Plan B se sont associés au projet. « J’ai le sentiment que sans Brad Pitt, ce film n’aurait pu être monté, déclare McQueen. Il a apporté de réelles contributions en tant que producteur parce qu’il s’est totalement investi dans ce projet. Il est franc et il soutient à fond les auteurs des films. Et en tant qu’acteur, même dans un petit rôle, il est capable, en quelques minutes à l’écran, de donner plus que la plupart des acteurs. Je lui suis très reconnaissant, ainsi qu’à Dede Gardner et à Plan B. »


La productrice Dede Gardner explique que l’équipe de Plan B était ravie de travailler en « territoire cinématographique inconnu » : « Il n’y a jamais eu de film à la portée universelle tel que celui-ci et qui se déroule sur une période suffisamment longue pour que l’on puisse saisir la réalité de l’esclavage, cette principale ressource du commerce dans le Sud des États-Unis pendant des décennies, commente-t-elle. Ce livre raconte une histoire extraordinaire, très émouvante bien sûr, mais qui donne aussi une perspective authentique sur la réalité de la condition d’esclave au quotidien et sur ce que cela impliquait à tous points de vue. »


« Nous avons de l’esclavage une image univoque, ajoute Bill Pohlad de River Road Entertainement. Mais cette histoire donne à ce thème une dimension personnelle qui permet de l’aborder sous un jour complètement différent. Et quand on y ajoute la voix unique de Steve, c’est fascinant : il rend cette expérience vraiment intime et c’est ce qui lui donne une telle force. » Tous étaient déterminés à être fidèles, dans ce film, à la vision de McQueen : « Nous nous sommes associés à ce projet parce que nous y croyons, commente Gardner. Si on signe pour un film avec Steve McQueen, on sait qu’il ne fera aucun compromis, qu’il appuiera là où ça fait mal, et c’est quelque chose que j’admire vraiment. Le système de l’esclavage était cruel et violent, et il est même difficile d’en parler, mais c’était important de le montrer et on savait que Steve tenait à être le plus honnête possible. Je pense que c’est être très respectueux du public que de montrer les choses de manière aussi authentique. »


Dès le départ, les producteurs savaient que l’approche de McQueen serait hors normes : « Steve avait, d’entrée de jeu, une vision très claire de la dimension émotionnelle du film, raconte le producteur Jeremy Kleiner. Par exemple, il voulait mettre le public dans une position telle qu’il comprenne que le fait d’écrire une simple lettre pouvait entraîner la mort. Aujourd’hui, on écrit des e-mails mais dans l’univers de Solomon, le fait même de réunir les éléments nécessaires à la rédaction d’une lettre pouvait avoir de très graves conséquences. Ce thème était important pour Steve et le besoin de Solomon de communiquer avec le monde extérieur a fait l’objet de la scène d’ouverture du film. » Pour Kleiner, l’universalité du film tient aussi à sa façon de révéler tant de facettes différentes du comportement humain : « Chaque personne rencontrée par Solomon incarne une facette de la condition humaine. Il y a de la bienveillance, il y a du tourment intérieur et de la cruauté. Et il y a aussi de l’amour, conclut-il. Et chez Solomon, il y a aussi le refus de baisser les bras face à l’adversité. »

 

 

 

Courtesy of Mars Distribution

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