28 Mai 2014
Les festivités cinéphiles cannoises étant belles et bien terminées, revenons à nos habituelles sorties hebdomadaires; avec ce Mercredi, dans les salles : "Maléfique" de Robert Stromberg, "Ugly" de Anurag Kashyap, "Les Drôles De Poissons-Chats" de Claudia Sainte-Luce, "Le Vieux Qui Ne Voulait Pas Fêter Son Anniversaire" de Félix Herngren, "La Liste De Mes Envies" de Didier Le Pêcheur, "Je Te Survivrai" de Sylvestre Sbille, "Amour Sur Place Ou À Emporter" de Amelle Chahbi, "Ton Absence" de Daniele Luchetti, "L'Île De Giovanni" de Mizuho Nishikubo, la ressortie de "Partie De Campagne" de Jean Renoir, et le documentaire citoyen, "Caricaturistes, Fantassins De La Démocratie", présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes, et dont on vous propose l'interview de sa réalisatrice. Ah, Cannes ... On ne s'en échappe jamais vraiment !
Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
Stéphanie Valloatto : "À l’origine du projet de documentaire, il y a l’amitié entre Radu Mihaileanu, Cinéaste, Producteur et Plantu, caricaturiste pour le journal Le Monde depuis 40 ans. Une admiration réciproque et des valeurs communes les ont amenés à l’idée d’un film sur le combat des caricaturistes pour la démocratie. Après avoir vu mon dernier film documentaire dressant le portrait de Philippe Labro pour la Collection Empreintes de France 5, Radu Mihaileanu, par l’intermédiaire de son ami co-scénariste, Alain-Michel Blanc, m’a proposé de réaliser un film sur les caricaturistes dans le monde, ces fantassins de la démocratie. Ensemble, nous avons fait des recherches, travaillé sur le sujet et sélectionné les caricaturistes parmi une centaine pour qu’ils soient les plus représentatifs des problématiques dans le monde : dictature politique ou militaire, pressions économiques, mafia, religion ... Afin de préparer au mieux l’écriture du scénario. Avec Cyrille Blanc, co-producteur du film et chef opérateur, nous avons réalisé des repérages filmés pour aller rencontrer les dessinateurs en France et aux USA, ce qui nous a permis avec cette matière de monter teaser et clips de présentation afin d’alimenter en images les futurs partenaires du film. Aussi, lors de nos repérages à New-York nous avons présenté le projet au département Média de l’ONU, ils ont tout de suite accepté de soutenir le film. Frédérique Dumas d’Orange Studio a été la première à nous dire oui ! Sans elle, ce film n’existerait pas. Dans un deuxième temps, Radu Mihaileanu a alors présenté le projet à tous ses partenaires cinéma avec foi et grand engagement, le projet de film a pu se concrétiser grâce à une équipe soudée."
Les enjeux du film
S.V. : "C’est un hommage à ces hommes et ces femmes caricaturistes et à la fois journalistes, artistes, humoristes et combattants : une leçon d’humanité et de courage pour chacun d’entre nous que l’on peut décliner dans tous les domaines. Un filmengagement pour la liberté d’expression, la liberté des peuples, le droit à la démocratie ... Pour cela, nous avons filmé en équipe légère (réalisatrice, chef opérateur, ingénieur du son, fixeur, assistant) et en immersion dans le quotidien des dessinateurs."
L’arme de ces fantassins semble être l’humour. Pensez-vous que l’humour puisse faire trembler la démocratie, la faire avancer ?
S.V. : "L’humour est l’apanage de tout caricaturiste puisque la caricature est le moyen de se moquer, de pointer du doigt, de dénoncer en faisant sourire les lecteurs. La caricature apprend l’auto-dérision : un homme politique ou un grand industriel qui prend la caricature au premier degré et ne peut pas rire de lui-même, n’est pas un libéral. L’humour dans la caricature est une arme puissante qui dérange le pouvoir (politique, économique, militaire) et peut le faire trembler. L’exemple du caricaturiste syrien montre à quel point le régime de Bachar Al-Assad n’aime pas la caricature. Ali Ferzat a été kidnappé, mis dans un sac et tabassé. On lui a brisé les doigts pour qu’il ne puisse plus s’exprimer et pour donner l’exemple à ceux qui voudraient faire de l’humour sur Assad et son régime. La dessinatrice vénézuélienne, Rayma, a par ailleurs fait un dessin sur lequel elle a écrit : « Un gouvernement sans humour n’est pas démocratique » en parlant du régime de Chavez."
Il y a, comme vous le dites, un risque pour la liberté d’expression dans tous les pays, même en France. Ce film semble justement mettre en lumière les tabous que chaque société s’attache à taire, êtes-vous d’accord avec cela ? Pensez-vous que ces dessinateurs pointent du doigt nos tabous ?
S.V. : "Dans toutes les sociétés, il y a des tabous et le travail du caricaturiste est de les mettre à nu car, parfois ils sont liés à la culture d’un pays (le sexe, la religion ...), mais le plus dangereux ce sont les interdits lorsqu’ils viennent d’hommes politiques au pouvoir, de militaires, de fondamentalistes religieux ou de grands groupes industriels et économiques. Le combat du dessinateur est alors de continuer à dessiner chaque jour en contournant ces interdits pour faire avancer la démocratie. Par exemple, en Russie le tabou n°1 c’est Poutine et le Kremlin : tout ce qui attrait au pouvoir. Et là c’est le plus dangereux car le dessinateur russe, Zlatkovsky, en dessinant sur ces sujets, risque d’être mis en prison, voire assassiné."
En parlant de héros modernes, est-ce que vous pouvez nous donner des détails sur votre rencontre avec Ai Weiwei cet artiste chinois qui lui a connu la privation de sa liberté ?
S.V. : "La rencontre avec Ai Weiwei n’était pas prévue et même impensable, car il est l’un des artistes chinois opposant au régime les plus connus : il a été mis en prison et il est surveillé en permanence. Cette rencontre a été possible grâce au dessinateur chinois, Pi San, qui, lorsque Ai Weiwei a été arrêté, a réalisé un film d’animation diffusé sur le net « Graines de tournesol » (en référence à la dernière exposition d’Ai Weiwei) pour dénoncer son arrestation et la censure du gouvernement chinois. Lors de notre séjour à Beijing, Pi San a appelé Ai Weiwei pour lui proposer une rencontre. Il a accepté, mais à ses conditions : « D’accord mais chez moi, pas plus de 20 minutes et aucune question sur mon arrestation.» Lorsque nous sommes arrivés avec mon équipe devant chez lui, nous avons vu des caméras de surveillance partout et des voitures de police postées dans la rue. Nous avons suivi Pi San. Ai Weiwei nous a accueilli avec son staff. Puis rapidement les deux hommes ont échangé sur l’art en Chine et les voies d’expression qu’ils ont choisi pour s’exprimer sur la société chinoise. Ai Weiwei est un homme d’une grande sagesse, chaque mot est pesé, l’impact de son discours est puissant : la liberté menacée par la censure et l’oppression à tous les niveaux. Il n’est pas caricaturiste mais son discours amène un regard complémentaire à celui de Pi San."
Pensez-vous qu’au jour d’aujourd’hui, au regard de l’actualité, la vie de tous ces caricaturistes soit en danger ? Et plus largement la liberté d’expression ?
S.V. : "Au regard de l’actualité internationale quotidienne : guerres, pressions économiques, conflits sociaux ... Et puisque les caricaturistes donnent leur point de vue sur cette actualité : leur vie peut être mise en danger surtout dans les régimes autocratiques (Russie, Venezuela, Chine, Tunisie). Plus largement, la liberté d’expression est menacée dans tous les pays y compris dans nos régimes dits « démocratiques ». Comme le dit Plantu, il ne risque pas d’être mis en prison ou assassiné, mais les pressions sont permanentes sur le dessinateur, sur le journal ..."
Dans ce film, on remarque qu’il existe une volonté de dialoguer avec les nouvelles générations, de leurs transmettre un savoir et le goût de la liberté. Pensez-vous que la relève est assurée ?
S.V. : "C’est un aspect essentiel pour moi et pour les producteurs. Réussir à toucher les jeunes générations sur la fragilité de la démocratie à travers le point de vue des caricaturistes. La force du dessin de presse est d’être plus accessible et plus attractif qu’un édito d’un quotidien. Un des objectifs du film est de montrer aux jeunes l’importance d’une opinion, d’un avis ... Ce qui implique de s’exposer, donc d’avoir le courage de ses opinions au nom de la liberté d’expression. On se rend compte que les jeunes ont souvent peur de dire ce qu’ils pensent, peur de se démarquer dans des sociétés où comme le dit Pi San, on est souvent formaté. Le message des caricaturistes aux jeunes est fondamental : oser avoir une opinion."
C’est un film qui porte un message d’espoir donc ?
S.V. : "C’est un film très positif qui nous fait sentir vivants et nous donne envie de nous battre. Plus qu’un message d’espoir, les témoignages de nos caricaturistes nous montrent qu’il faut oser et que tout est possible tant qu’on a de l’humour. Un des objectifs premiers du film est de montrer aux plus jeunes l’importance d’une opinion. Ce qui implique d’avoir le courage de s’exposer au nom de la liberté d’expression."
Courtesy of EuropaCorp Distribution
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