Planète Cinéphile

Cette semaine

L'AUTRE SORTIE DE LA SEMAINE : "L'AMOUR EST UN CRIME PARFAIT"

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Cette semaine, dans les salles hexagonales, nous vous recommandons tout d'abord le thriller américain "Les Brasiers De La Colère" de Scott Cooper, ainsi que la comédie française "A Coup Sur" de Delphine De Vigan, le drame roumain "Mère Et Fils" de Calin Peter Netzer et le drame danois "R" de Tobias Lindholm & Michael Noer, le film de guerre franco-italien "Piégé" de Yannick Saillet, sans oublier "L’Amour Est Un Crime Parfait", dont nous vous proposons l'interview des réalisateurs Jean-Marie & Arnaud Larrieu.

 

 

 

"L’Amour Est Un Crime Parfait" est l’adaptation d’"Incidences" (2010), le roman de Philippe Djian. Pourquoi ce choix ?

Jean-Marie Larrieu : "La lecture du roman, juste après la sortie de notre précédent film Les Derniers Jours Du Monde, a immédiatement cristallisé notre envie : les personnages existaient, il y avait une histoire puissante, des éléments comme la présence forte de la nature ..."
Arnaud Larrieu : "... L’atelier de lecture, l’université, ce personnage d’intellectuel… plus ou moins criminel."
J-M.L. : "En rencontrant Philippe Djian, nous avons eu confirmation que le roman se déroulait en Suisse. Nous avons vu cela comme un signe. A l’époque de Peindre ou faire l’amour (2005) nous avions eu cette formule en forme de boutade : « Un jour, on tournera un polar en Suisse ». Titiller un univers proche du polar nous a intéressé, nous n’avions jamais abordé le sujet du crime dans nos films."

Comment avez-vous travaillé l’adaptation ?

J-M.L. : "Il y a eu une première étape où nous avons cherché à éviter les pièges de l’adaptation standard. Par exemple, il y a beaucoup de flashbacks dans le livre que nous avons éliminés."
A.L. : "Nous avons tiré du livre une adaptation quasi théâtrale."
J-M.L. : "Les personnages prennent en charge le corpus du texte. Nous aimions l’écriture de Djian, le rythme, les phrases, et notre adaptation en tient compte. Nous avons utilisé comme dialogues de nombreuses phrases du roman qui n’étaient pas des dialogues à l’origine."
A.L. : "Incidences est très peu dialogué ... Mais au bout du compte, L’amour est un crime parfait est notre film le plus bavard !"

J-M.L. : "On dit toujours qu’un roman permet à un cinéaste de sortir de lui-même, mais le texte littéraire devient aussi le « surmoi » du scénario. Comme un auteur est passé avant nous, on estime que certaines choses fonctionnent et on ne se pose plus certaine questions."
A.L. : "Mais ça ne suffit pas, il faut faire le « deuil » du roman pour s’approprier beaucoup plus profondément le scénario. Nous avions adapté Incidences pour échapper à nous-mêmes, mais nous y sommes finalement revenus…! Tous les cours de Marc sur la littérature et les paysages, par exemple, sont de notre propre cru."

Le sexe a toujours été important dans vos films, mais L’amour est un crime parfait franchit un cap. Tout y est très érotisé.

A.L. : " Avant, la nudité était présente, mais pas forcément la tension sexuelle. Ici, elle devient constante. C’est notre film le plus sexuel. Peut-être parce que les personnages n’ont guère le loisir de s’abandonner à une véritable nudité. Chacun se cache."
J-M.L. : "Le personnage central est entouré de femmes séductrices et chacune constitue une proie possible. On pourrait même dire que Marc voit le monde comme un terrain de chasse sexuel. C’est ce que suggère le plan où il arrive dans l’université, avec les étudiantes ..."
A.L. : "  Cet homme est en surtension. Dans la manière dont il perçoit la réalité, tous les curseurs sont poussés à fond."
J-M.L. : " Il y a beaucoup de signaux, de vibrations dans son rapport au réel. Tout cela permet de casser la psychologie, de rentrer dans l’expérience du pur cinéma. Nous explorons un monde de signaux et de pulsions, en deçà de la psychologie. L’opposition entre un monde primitif, quasi animal et un monde contemporain, ultra sophistiqué, traverse tout le film."

 

 

Larrieu Frères

 

Le film apparaît par moments comme un manifeste pour votre façon de raconter des histoires. Le héros passe le film surréaliste L’AGE D’OR de Bunuel à ses étudiants.

J-M.L. : "Nous citons aussi « Nadja » ... Nous aimons le surréalisme qui pose la question de ce qui « fait signe ». Dans une rencontre notamment. Vivre dans un monde de signes, c’est ce qu’expérimente le héros. Je n’emploierais pas le mot de manifeste, mais il y a dans ce film une déclaration d’intérêt et d’amour de notre part pour une certaine manière de raconter les histoires. Clairement, la phrase : « Vous avez rencontré ce matin quelques uns des représentants les plus brillants de la stratégie narrative anglo-saxonne », elle vient directement de la conférence de presse de Peindre Ou Faire L'Amour au Festival de Cannes en 2005. Un journaliste américain nous avait demandé quelle avait été notre « stratégie narrative » sur le film. Il sous-entendait évidemment qu’il n’y en avait pas. Nous étions abasourdis par cette question. C’était comme vouloir dégager une « stratégie » à partir des méandres du désir. Nous avons toujours voulu au contraire tenter de cerner et de construire une dramaturgie qui épouse la « contre stratégie » absolue qu’est le désir, dans son cheminement. Le désir n’est ni une guerre, ni une volonté. La poésie n’a pas de stratégie. Elle déroute toutes les stratégies."
A.L. : "Ce journaliste voulait en fait connaître notre point de vue sur l’échangisme.
JM : Mais on ne fait pas un cinéma réaliste !"

Comment vous partagez-vous la tâche sur un tournage ?

J-M.L. : "Arnaud tient la caméra, il est au cadre. Mécaniquement, je suis un peu plus proche des comédiens."
A.L. : "J’essaie de sentir le rythme des plans, j’ai envie qu’il se passe quelque chose sur le moment ..."

Cette philosophie du "moment" s’applique constamment ?

A.L. : "Nous ne sommes pas vraiment des adeptes du découpage prévu en amont. Le jour du tournage, nous répétons les scènes avec les acteurs, de la manière la plus légère possible. Ensuite, nous définissons quels plans nous allons tourner. Jamais le contraire."
J-M.L. : "C’est aussi parce que nous savons que les acteurs se donneront vraiment dans ces conditions. Nous ne faisons pas énormément de prises, nous attendons que la pression monte et qu’un événement rare et magique surgisse."

 

Il me semble que la musique de Caravaggio et son utilisation dans le film résume beaucoup de chose que vous dites du film.

J-M.L. : "Exactement, ce qui nous a immédiatement attiré dans la musique de Caravaggio c’est la manière très sensible avec laquelle ils traversent les genres. Les genres comme des réseaux de sensations reliées entre elles par des appels constants. La pop électrique côtoie sans problème le lyrisme de l’orgue ou l’inquiétude de la musique électronique plus atonale."
A.L. : "Comme au cœur de la tragédie peut se loger l’élan amoureux. Leur manière de composer correspond très bien au film : comme un funambule, sur un fil mais tout droit. Ce sont aussi et avant tout des musiciens interprètes : même si l’écriture précède l’interprétation c’est toujours cette dernière qui a le dernier mot, comme en jazz ou dans le rock. Aucune prise ne se ressemble exactement, elle est unique et singulière. Nous partageons la même philosophie concernant le cinéma."
J-M.L. : "Il n’est pas impossible que Djian jongle de la même manière avec ses phrases."

 

Synopsis : "Professeur de littérature à l’université de Lausanne, Marc a la réputation de collectionner les aventures amoureuses avec ses étudiantes. Quelques jours après la disparition de la plus brillante d’entre elles qui était sa dernière conquête, il rencontre Anna qui cherche à en savoir plus sur sa belle fille disparue ..."

 

Sortie (France) : 15 Janvier 2014

 

 

 

Courtesy of Gaumont Distribution

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