Planète Cinéphile

Cette semaine

LAURA CRITIQUE : "PAS SON GENRE"

Pas-son-genre.jpg

 

 

Alors qu’après sa sortie en Avril, la comédie dramatique "Pas Son Genre" éveillait de-ci de-là une certaine admiration médiatique, j’ai décidé après un visionnage sceptique de jouer le rôle du contradicteur avec force haussements d’épaules et froncements de sourcils. De fait, pour illustrer, je vais spoiler.

 

Dans "Pas Son Genre", une créature de la ville, un genre de quarantenaire adolescent à l'oeil mouillé et au sourire poltron va regarder pendant tout le film des filles se débattre avec leurs monologues et leur amour pour lui jusqu'à ce qu'elles soient, et le film avec, à court d'argument. Cette créature de la ville, prof de philo au Café des Deux Magots de son état (un café illustre de l’âge d’or de Saint-Germain-des-Prés, où l’on n’entre qu’en montrant ses titres, son CV ou son guide touristique ; en l’occurrence le monsieur semble y passer plus de temps qu’à l’école), est catapultée chez les Ch'tis, et là paf, rencontre ; mais comme Dany Boon était occupé à Berck, ils ont pris Emilie Dequenne à Arras pour interpréter la créature de rêve. Jennifer, jeune maman célibataire, est coiffeuse la semaine et star de karaoké le samedi soir ; Clément se met en tête de la séduire, et là, c'est le choc des cultures.


Les deux protagonistes enchaînent les rendez-vous, elle lui parle de stars de cinéma, il lui parle de Kant, elle comprend pas, il lui explique. Elle le retrouve à l’hôtel où il vit, il lui lit des livres, elle écoute sagement, et quand il rentre à Paris la fin de semaine pour le battre froid à ses ex, elle attend ses appels. Petit à petit, ça devient une sorte de relation sérieuse.

 

La chasse au cliché, c’est un peu mon cheval de bataille, ma cause perdue, et souvent une obsession un peu vaine. Souvent je m’agace bêtement en oubliant qu’on est au cinéma et pas dans la vie, et même, souvent à l’inverse, je me prosterne devant une utilisation des clichés intelligente, consciente, réflexive ... BREF, marrante. Certes, dans Pas son genre les clichés nous aident à nous situer dans l'espace social. Saint-Germain des prés, les vernissages (mon dieu ! Si je passe cinq minutes en dehors de Paris on va vernir une croûte sans moi !) et les vieux livres (mon dieu ! ma bibliothèque de 50 mètre cubes, en mon absence qui va ... Qui va la regarder ?) ne, ne, ne nous étranglons pas. Du côté de la jeune provinciale, ça passe plutôt bien, le principe c'est qu'elle met des couleurs vives, ça montre que c'est une fille simple. En fait, les clichés agacent à partir du moment où pour en remettre une couche, ça frise carrément l’improbable. Pour les besoins de l'histoire, ce doit être un professeur de lycée sans trop d’avantages mais il intervient dans un gros colloque universitaire, il publie des livres où y a sa photo dessus ... C'est du même ordre du plausible que l'invention burlesque proposée par le film "Les Profs" (« Bon, ben comme c’est le lycée des pires élèves, on va mettre les pires profs parce que moins plus moins ça fait plus », « Euh ... Je crois que c’est moins par moins ... », « Oui, mais va y avoir Kev Adams dans le rôle du jeune » « super scénario ! j’achète ! »), qui n'avait pas pour ambition de faire un film social. C’est ça en fait, le problème. Quand c’est drôle, c’est ... Bon ... Ha ha ha, crapules. Quand c’est un film original et innovant sur les classes sociales, c’est bof. Feignasses. Une scène vue et revue au cinéma (question de génération, ça peut aussi être vu et revu dans "Hartley Cœur À Vif"), déclinée une paire de fois dans le film : Clément est en classe, les élèves sont bêtes (mais quand même, ils l’écoutent, ha ha, je me marre), c’est la sonnerie, et au moment où la masse se rue vers la liberté, Clément lance une phrase choc du genre (« ... Une phrase choc quoi ») : « Et n’oubliez pas que la philosophie, ça peut changer votre vie ! » Tout le monde s’en va, clap de fin, admiration béate du spectateur, ovation, oh capitaine, mon capitaine !


Quant à Jennifer, on ne sait qu'en penser. Il était visiblement impensable d'en faire une véritable inculte, elle possède chez elle une vraie bibliothèque. Je crois que ÇA, ça n'arrive pas si couramment dans les foyers modestes. Malgré tout, il a fallu lui faire dire en réponse à l’analyse de Dostoïevski par Clément : « moi aussi je lis beaucoup, des revues, des magazines ... » Vraiment, si naïve ? Et quand même, donc la fille qui a des goûts simples, très simples, trop simples, elle lit Anna Gavalda. Sympa pour Anna Gavalda. Mais c’est pas une insulte arbitraire à l’auteure, d’ailleurs pour donner l’info devait y avoir un conseiller scientifique de type sociologue qui traînait sur le plateau CE JOUR-LÀ. « Alors d’après la dernière enquête, c’est prouvé, Anna Gavalda arrive seconde derrière Télé 7 Jours dans les lectures préférées des coiffeuses ... » Après, y zont, dit, on a compris, on a plus besoin de toi, le reste on se débrouille. Psst. (le geste qui dit dégage).

 

Pas-son-genre-2.jpg

 

Du coup, il y a ambiguité. Jennifer est entre le dénuement culturel de la classe populaire et une forme de beauté intérieure qui n’est pas seulement de l’ordre de l’authenticité des gens simples, mais quand même d’une certaine sophistication. On a voulu lui coller des phrases-types, du entendu en province sans en faire la pire des rustres alors que ça ne semble pas choquant que Clément soit le pire des intellos. Ce qui est gênant, en fait, c’est donc d’en faire un personnage singulier tout en pointant spécifiquement des traits généraux, des phrases toutes faites entendues avec une certaine tendresse ou une certaine condescendance. Mais du fait de cette ambiguité, Jennifer devient heureusement un vrai personnage, que l'on finit sinon par aimer, allez, par approuver, pour sa force, son bonheur à toutes épreuves, une énergie traduite dans le ton du film et des séquences particulièrement enlevées, entre autres bien sûr, celle où une accumulation d’ellipses temporelles traduit l’excitation de l’attente du premier rendez-vous. Clément, lui, est sacrément immature pour un philosophe. Pas seulement passif, mais il manque vraiment de recul dans le rôle de celui qui a les outils pour analyser la situation. L’intellectuel, dans un certain type de cinéma, ne se reconnaît qu’à la matérialité de son style de vie, et pas à l’analyse des situations qu’il subit. Ou alors, on dirait plutôt un penseur médiatique un peu loubard, un séducteur invétéré pas trop inquiet, dans le rôle duquel on aurait largement préféré Nicolas Bedos. Pas que Loic Corbery de la Comédie Française soit mauvais, mais au moins on aurait compris le topo.


Et puis mauvais, pas mauvais, là je me tâte. En tout cas si l'on en cherche, on ne trouvera aucun dialogue auquel on croit. Pour moi, ça ne serait pas tant un problème si deux-trois « genre » n’étaient rajoutés à la fin des phrases de Jennifer dans un souci soudain de réalisme, aussi renseigné que celui de la caricature de Emmanuelle Seigner dans La Vénus à la fourrure (dans le film de Polanski, on se disait, allez, c’est du théâtre, c’est pas sérieux, c’est du méta-jeu, donc c’est normal que ça paraisse sur-joué …) Sérieusement, les mecs, il ne suffit pas de rajouter un « genre » à la fin des phrases ! On trouvera ça à propos ou on trouvera pas ça à propos, mais ça me fait penser à Friends, une  scène où Joey doit tourner une pub pour de la soupe. On lui demande de dire : « Hum ... Quelle soupe ! » Mais il ne peut pas s'empêcher de dire : « Humm ... Quelle soupe aux vermicelles ! » Une prise, deux prises ... « Humm, quelle soupe ! ... Aux vermicelles ! » C'est exactement comme ça que sonne le "genre" à la fin des phrases, un vermicelle sur une soupe que la comédienne à vaillamment essayé de s'avaler.

 

Ça, c'est pour le grommelage en règle annoncé plus tôt. C'est surtout pendant la première partie du film que ça chatouille, mais pendant la seconde, on est amenés à ce qui fait la force irréductible du film : sa façon de vraiment rentrer dans le sujet. D’abord, rien n’est sacrifié à l’histoire d’amour, la gêne est quasiment omniprésente, et certaines scènes sont très intrépides. La scène d’amour est très peu sensuelle (sans en rajouter, on se demande si elle est gênante exprès, en fait …). Une scène d’initiation au karaoké très empathique, très en tension, voit Clément faire un vrai choix du côté de l’abandon de soi, et parvient à faire basculer le spectateur de la gêne au soulagement en même temps que le protagoniste. Une scène dans un restaurant chic est absolument confondante tant la caméra s’attache au point de vue de Clément sur ce « mauvais goût » de Jennifer qui fait tâche … Tout cela marche plus ou moins bien, mais il semble qu’il y ait une vraie recherche de traitement de situations a priori banales mais en réalité très investies par la tension de classe. Mais surtout, la narration traite le sujet jusqu’au bout. Y a-t-il un avenir pour ce couple, tant Clément n’est pas à sa place, et Jennifer ne peut trouver la sienne à ses côtés  ? Dommage que ce soit la femme qui soit condamnée à « aimer plus » … Si la problématique est résolue par une impasse (où la force d’action de Jennifer, comparée à la passivité de l’égocentrique, n’est pas suffisante pour qu’elle gagne enfin sa considération, condamnée à rester une humble mais gagnante par le mérite), elle a le grand avantage d’être développée, d’ouvrir plusieurs tiroirs, et finalement de confronter, plus que deux classes sociales, deux personnalités dans une histoire d’amour improbable ... Mais aux confrontations parfois assez subtiles pour être inédites – ou rares au cinéma.

 

 

 

 

Remerciements à Laura (Director's Cut)

Partager cet article

Repost0

Commenter cet article