Planète Cinéphile

Cette semaine

L'AUTRE SORTIE DE LA SEMAINE : "UNDER THE SKIN"

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J-4 avant la célébration des 30 ans de la Fête Du Cinéma ! L'occasion de vous présenter les nouveautés hebdomadaires que vous pourrez découvrir à moindres coûts, durant quatre jours (du Dimanche 29 Juin au Mercredi 02 Juillet inclus). "Le Conte De La Princesse Kaguya" de Isao Takahata, "Transcendance" de Wally Pfister, "Le Procès De Viviane Amsalem" de Shlomi & Ronit Elkabetz, "Zero Theorem" de Terry Gilliam, "L'Ex De Ma Vie" de Dorothée Sebbagh, "On A Failli Etre Amies" de Anne Le Ny, "Le Coeur Battant" de Roberto Minervini, "La Dernière Nuit" de Franck Llopis, la ressortie de "Un Tramway Nommé Désir" de Elia Kazan et l'O.F.N.I. (objet filmique non identifié) du mois, "Under The Skin" de Jonathan Glazer. "Planète Cinéphile" vous propose l'interview du réalisateur suive de la critique du film.

 

 

Après le fantastique suggéré de "Birth", pourquoi avoir choisi la science-fiction comme vecteur de votre nouveau film ?


Jonathan Glazer : "Le genre permet d'aborder de grands sujets de réflexion. A travers lui, en l'occurrence par le biais du regard qu'un extraterrestre porte sur nous, le spectateur est en immersion : il observe le monde et ses contemporains d'un œil nouveau. C'est un parti-pris qui induit la création d'un nouveau langage visuel, d'une grammaire cinématographique. En tant que cinéaste, il y avait là un défi formel passionnant et enivrant qui justifiait un si long processus de production.

Lorsque je commence un film, en particulier celui-ci, tout part d'un ressenti. Je n'analyse pas les choses, je ne « vois » pas immédiatement la représentation du personnage. La démarche artistique n'était donc pas évidente; les premières versions du scénario étaient intéressantes mais je n'arrivais pas à me projeter. Par contre, je n'ai jamais cessé de vouloir faire ce film ! Au fil de l'écriture, nous avons compris qu'il fallait débuter par les scènes où l'on voit comment les humains réagissent en rencontrant Scarlett. Ce n'est qu'ensuite que l'on pouvait la décrire, la matérialiser, parce que, dans l'histoire, elle s'exprime peu et ne dégage pas d'empathie. La scène de la plage en est un exemple flagrant !"


 

Peut-on parler d'expérimentation visuelle, à l'instar du cinéma de Nicolas Roeg qui, sur un sujet similaire, avait réalisé "L'Homme Qui Venait D'Ailleurs" en 1976 ?


J.G. : "Beaucoup de gens ont fait ce rapprochement... pas moi (rires). J'ai vu la plupart de ses films lorsque j'étais adolescent ; je me souviens de certains plans, effectivement proches de l'expérimental, d'une narration déconcertante, mais cela n'a jamais été une source d'inspiration pour UNDER THE SKIN. J'ai surtout pensé à La grande illusion. J'étais tellement en empathie avec les protagonistes ; je vivais littéralement leur emprisonnement que lorsqu'ils se retrouvent à l'air libre, c'était comme retrouver moi-même l'inspiration, l'oxygène. Cela a été l'une des mes sources d'inspiration pour le parcours de Scarlett : être au plus près d'elle puis s'échapper à ses côtés.

En revanche, inventer un langage visuel qui traduise le « vécu » de cette extraterrestre sur Terre est une démarche expérimentale. Sauf qu'elle n'est pas gratuite ou le fruit d'un caprice.


Plus généralement, je ne joue pas consciemment de références UNDER THE SKIN est avant tout l'adaptation – très libre - du roman de Michel Faber. Le scénario du film et le roman sont liés par la même approche spirituelle : appréhender notre monde comme si on le découvrait pour la première fois. L'histoire est racontée du point de vue de Scarlett : à l'écran, ce qui est étranger, extra terrestre, c'est notre monde ! L’Écosse se prêtait parfaitement à un sentiment d'étrangeté. Et le peu de dialogues se justifiait pleinement : l'intention des scènes et le comportement du personnage sont suffisamment limpides pour éviter les longues tirades.


Dans mon processus de création, il n'y a pas UN point de départ mais un faisceau d'envies, de ressentis plus précisément par rapport à l'histoire que je souhaite raconter. Rien n'est prémédité : le visuel s'impose au fur et à mesure, en fonction du sens que je veux donner à telle scène. Je ne me suis interdit aucune piste ; j'en ai supprimé beaucoup, y compris celles que j'avais suivies durant des mois." 

 

 

Ce qui frappe chez les hommes qu'Elle cherche à séduire, c'est leur solitude. Peut-on y voir le fruit de vos réflexions sur l'être humain ?


J.G. : "Je crois que nous sommes des êtres fondamentalement solitaires, même lorsque l'on vit en couple ou en groupe. Lors de la préparation du film, nous avons beaucoup sillonné les villes et photographié leurs habitants, marchant dans les rues, en train d'attendre le bus, de téléphoner, de fumer une cigarette etc... Cette solitude se lit sur la plupart des visages, dans le geste le plus banal du quotidien. Les hommes, en particulier. Ceux qu'aborde Scarlett semblent un peu perdus jusqu'au moment où le désir les ramène, en quelque sorte, à la vie.


En revanche, je ne prétends pas tout savoir de l'humain ! J'aime en parler, parce que cela me questionne et me fascine d'un point de vue existentiel, mais je ne conclue à rien. A mon sens, UNDER THE SKIN est un film témoin, au sens fort du terme : témoin de la beauté, de la violence, de l'amour, de la compassion, de la bonté et de la laideur de l'homme. C'est notamment pour ça que nous avons filmé bon nombre de plans en caméra cachée. Par exemple, lorsque Scarlett s'arrête pour demander son chemin à des inconnus ou lorsqu'elle s'effondre en pleine rue. Ce que nous avons alors capté a servi le propos, car le rôle du « prédateur » est d'abord d'observer. Combiner le « réel » à la construction cinématographique - qui n'est pas spontanée - était le plus grand défi à relever. Mais, à partir du moment où la méthode colle à ce que l'on veut raconter, l'harmonie finit par s'imposer, naturellement." 

 

 

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Vous êtes-vous d'emblée accordé avec Scarlett Johansson pour faire d'elle la plus sexy des « Bête » tout en évitant tout glamour ?


J.G. : "Absolument. C'est une « sexiest beast », comme vous dites (rires). Elle est à la fois la Belle, celle qui ensorcelle les mortels, et la Bête, celle qui condamne leur existence. Le projet a mis plusieurs années à se concrétiser et je l'ai toujours tenue au courant de son avancée. Je me suis longtemps interrogée sur la pertinence de choisir une actrice très connue pour le rôle.  Il fallait absolument que le spectateur se retrouve en terrain étranger. C'était une question de crédibilité. Y compris en terme d'interprétation : quelqu'un joue un extraterrestre qui joue lui-même le rôle d'une femme. On a même songé à ce que Scarlett porte un masque qui évoque une peau humaine !


En définitive, Scarlett a accompli un tour de force et s'y est intensément préparée en terme d'artifices : l'accent, les tenues, le maquillage, la démarche, les expressions, tout ! Elle passe du statisme au mimétisme humain avec une incroyable fluidité.

J'ai très peu discuté du rôle avec Scarlett. Volontairement. Elle l'a déchiffré au fil des jours, à l'instar de ce que son personnage découvre progressivement de l'humanité. Elle a totalement joué le jeu. Dans son approche du métier, Scarlett aborde ses personnages avec objectivité. Elle a l'art de communiquer au public des idées qui, dans un scénario, peuvent être abstraites. C'est exactement la manière dont l'extraterrestre « digère » - littéralement, parfois ! – les informations qui émanent inconsciemment des gens.

Scarlett a su traduire à l'écran la complexité, « l'authenticité » d'un comportement non-humain. Elle a accepté de se livrer dans les scènes les plus compliquées, comme celle où l'extraterrestre contemple sa nudité dans le miroir. Ce fut un moment intense pour deux raisons : Scarlett est en parfaite osmose avec son personnage qui s'observe cliniquement et c'est pour elle, en tant qu'actrice érigée en sex-symbol, le moyen de désérotiser son image. Scarlett a toujours été en total contrôle de ce qu'elle jouait, de ce qu'elle était dans ce film. C'est très frappant à voir et fascinant à filmer." 

 

 

Quel est le sens de ces effets visuels organiques, quasi viscéraux, comme ce lac noir qui emprisonne les soupirants séduits par Scarlett Johansson ? 

 

J.G. : "Ces effets participent du même processus créatif à l'origine du son et de la musique : traduire la mouvance, l'instabilité, la perte de repères. Je ne voulais pas que l'on puisse distinguer à l'image ce qui relève du réel ou de la création numérique. Quant à ce lac sombre - où l'on se retrouve par trois fois dans le film – il sollicite les sens et non pas l'intellect. Le lieu est fascinant, puis angoissant, enfin terrifiant par ce qu'il révèle sur les intentions de l'extraterrestre. Au départ, je me suis « simplement » demandé à quoi ressemblerait un tel endroit. Là encore, le défi était de se mettre dans la peau de l'extraterrestre, de faire fi de toute rationalité. Ce qui explique l'absence de décors imposants, de technologie ostentatoire qui sont ancrés dans l'imaginaire collectif de l'homme. A mon sens, la « crédibilité » est dans le dépouillement, le vide, parce qu'il est propice à toutes les projections de l'esprit. Nous avons beaucoup discuté en amont du tournage pour aboutir à ce concept limpide : absence de forme connue, de lumière et de structures. Noir complet."

 

 

Avez-vous puisé dans vos rêves et cauchemars pour nourrir la forme singulière de "Under The Skin" ?


J.G. : "Cela m'est arrivé. J'en note certains et j'en oublie trop. Mon ambition était de titiller l'inconscient du public, comme j'ai laissé parler le mien. Je ne suis pas un extraterrestre : à l'écran, la plupart des images viennent de mon imaginaire profond... qui est humain (rires). Le public peut y être sensible ou non,  mais je désirais lui lancer cette invitation au voyage.


UNDER THE SKIN est une œuvre sensitive, sensorielle. Les films, souvent au long cours dans lesquels je m'embarque, doivent m'ébranler, m'émouvoir. Je cherche ensuite comment communiquer au public ce frisson qui échappe à l'analyse intellectuelle. Ce qui n'a pas empêché mon cerveau d'être pleinement sollicité, car véhiculer l'émotion au cinéma passe par une grande maîtrise technique.


Je n'ai pas étudié l'art de filmer, comme on est censé le faire. Le clip et la publicité m'ont servi d'école: on y apprend l’exigence car on ne dispose que de quelques minutes pour imposer sa vision. Je ne fais aucune hiérarchie entre ces différentes disciplines car l'objectif reste le même : trouver la forme qui mette en valeur l'histoire.


Avec le recul, je n'ai rien anticipé lors du tournage de UNDER THE SKIN : une fois fixée la ligne directrice du film, les pièces du puzzle se sont mise en place au fur et à mesure. Ce n'est qu'à la fin que tout s'est assemblé et a fait sens. Je compare souvent un film – celui-là en particulier - à une sculpture. Je suis rivée à elle, je prends de la distance, je remodèle certaines parties, je prends à nouveau du recul, j'y reviens... jusqu'à ce que je l'estime accomplie !"

 

 

Under the skin

 

 

Critique :

 

  "Under The Skin", troisième long métrage de Jonathan Glazer que "Planète Cinéphile" a eu le plaisir de découvrir lors de la dernière édition des Champs-Elysées Film Festival et que vous aurez la chance de pouvoir visionner à partir d'aujourd'hui ou durant la Fête Du Cinéma dès ce week-end, partout en France.

 

A propos de "Under The Skin", nous évoquions plus haut un O.F.N.I. (Objet Filmique Non Identifié) car le terme s'y prête véritablement. Le film est une expérience visuelle et cinématographique à part, une sorte de mix étrange entre science-fiction, documentaire et expérimental. Aussi, la recherche plastique menée n'est pas sans rappeler les créations artistique du vidéaste Chris Cunningham (réalisateur de nombreux vidéos clips) ou si l'on pousse un peu la référence, H.G. Giger (créateur de la saga ciné "Alien") - récemment disparu. Formellement, ce n'est pas tant les mouvements de caméra qui intriguent mais davantage ce qui constitue la mise en scène à l'intérieur du cadre (espaces, décors, matières, couleurs, comédiens). Effectivement, la majorité des plans sont fixes ou accompagnés, occasionnellement, de légers panoramiques ou zooms. Comme vous n'avez pas pu le lire dans l'interview précédente, le travail sur la bande son diégétique et extradiégétique est également très riche et minitieux. Chaque choix artistiques et techniques comptent double, l'intention du cinéaste étant de solliciter l'ensemble des sens du spectateur, histoire de nous glisser un peu plus dans la peau du personnage extra-terrestre.

 

Sur le plan scénaristique, l'on distingue deux parties de durées quasi équivalentes. La première partie nous laissera plutôt sceptique quant à la systématique de répétitions du stratagème de disparition, adoptée par l'extra-terrestre : une première fois, une seconde fois, puis une pénible troisième fois - malgré la présence à l'image d'un véritable Freak, nous renvoyant à "Elephant Man". Deux fois auraient été amplement suffisantes surtout que le montage n'éclipse nullement certaines ellipses temporelles - il y a du temps à l'image, ça traîne, ce qui donne l'impression d'une certaine pesanteur, d'un embourbement narratif. Car il faut bien comprendre que l'on ne sait pas vraiment ce qu'il se passe et que cela fait plus de trois-quarts d'heure que ça dure ! Puis, vient finalement la seconde partie déjà plus passionnante et qui nous permet surtout d'élucider de nombreux questionnements jusqu'alors non révélés.

 

Enfin, nous ne pourrions conclure cette critique de "Under The Skin", sans évoquer l'interprétation magistrale de Scarlett Johansson. Au-delà la nudité, la comédienne arrive à nous surprendre là où l'on ne l'attendait plus, n'hésitant pas à prendre des risques dans une performance bluffante. C'est tout à son honneur.

 

Note : (2,5-3/5)


 

 

Courtesy of MK2 / Diaphana Distribution - (Propos recueilli par Philippe Paumier) 

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