4 Mars 2021
Après "Le Temps de l'Innocence", nous continuons de parler de la sélection mensuelle de LaCinetek sur le thème de la passion avec "Les Amants Crucifiés" de Mizoguchi (1954) - en compétition officielle au Festival de Cannes (1955). Kenji Mizoguchi qui, avec Akira Kurosawa et Yasujirô Ozu, fait partie du trio des grands maîtres du cinéma japonais classique.
Ici, l'écriture est sans conteste le point fort du film. Mizoguchi pousse ses personnages à commettre un adultère par petites touches venant de tous les personnages secondaires. Chaque solution simple est bloquée, chaque faiblesse encouragée, chaque geste de courage moqué.
Car autour de ses deux personnages principaux purs malgré leur faute, Mizoguchi dépeint une société où l'hypocrisie est reine. Le classique mari trompant allègrement sa femme et s'offusquant qu'elle puisse en faire de même. Le concurrent mielleux qui fomente la chute du maitre. La mère qui souhaite la mort de sa fille pour laver son honneur alors que son fils aimé est un débauché. Le seigneur lui-même en prend pour sa grade, se cachant derrière la bienséance pour demander des pots-de-vin. La liste est longue et peu reluisante pour cette société japonaise que Mizoguchi juge bien durement.
Niveau mise en scène, Mizoguchi s'amuse des maisons traditionnelles japonaises, utilisant les panneaux coulissants et les menuiseries en carrés comme les cadres immobiles d'une situation figées, presque une prison. Et quand les carcans sautent et que des extérieurs sont filmés, les personnages eux-mêmes semblent plus légers. Notons enfin que pour le public occidental, il n'est pas courant de voir un film rythmé par les instruments traditionnels japonais. Une flûte légèrement dissonante et une percussion sèche apportent une atmosphère étrange aux images, et appuient définitivement l'intérêt historique et civilisationnel du film.
Si certaines scènes et certains dialogues ont vieilli, il faut souligner le plaisir intact de voir ce film qui a traversé les décennies mais dont le message, à la manière des tragédies grecques ou shakespeariennes, reste intemporel. A recommander à tous les amateurs de cinéma japonais ou de cinéclub, ainsi qu'aux curieux de l'histoire du féminisme, qui s'étonneront comme moi qu'un film japonais de 1954 puisse contenir des dialogues aux accents #MeToo aussi forts.
Remerciements à Rémi (Cinema-du-Z.fr) & LaCinetek
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