30 Août 2019
Inspiré d'une nouvelle de Marcel Aymé, "La Traversée De Paris", réalisé par Claude Autant-Lara, fait partie de ces films qui ont laissé leur trace dans l'inconscient collectif. En effet, qui n'a jamais entendu l’échange tonitruant entre Jean Gabin et Louis de Funès ("Jambier ! Jambier !")?
Nous sommes en 1942, dans Paris occupé. Pour subvenir à ses besoins, Martin, autrefois chauffeur de taxi, en est réduit à pratiquer le marché noir. Alors qu'il assiste Jambier, boucher de son état, lors de l'abattage du cochon qu'il devra transporter à l'autre bout de Paris (en jouant de l'accordéon pour couvrir les cris de la bête), Martin rencontre le mystérieux Grandgil, grande gueule et cynique, avec qui il va devoir faire cet étrange voyage nocturne.
Voyage initiatique avant tout, "La Traversée De Paris" met également en scène la rencontre frontale entre deux France. Entre le peintre, épargné par les affres de la guerre, et le chauffeur de taxi au chômage et contraint de pratiquer le marché noir, le choc est radical. Grandgil, l'artiste, est désabusé et n'hésite pas à clamer sa misanthropie et sa haine de la médiocrité.
Pour tenir les deux rôles principaux de "La Traversée De Paris", Claude Autant-Lara avait fait appel à deux monstres sacrés du cinéma français: Bourvil (qu'il retrouvera dans "La Jument Verte") et Jean Gabin (avec qui il tournera ensuite "En Cas De Malheur"). N'oublions pas non plus le rôle court mais marquant tenu par le grand Louis de Funès au début du film. Si la réussite du film tient beaucoup à son ton acerbe et incisif, à ses dialogues mordants, voire méchants, et à ses décors qui ne sont pas sans rappeler l’expressionnisme du cinéma allemand d'avant-guerre, le casting est évidemment inoubliable. Si, aujourd'hui, le choix des acteurs nous paraît naturel, il n'en fut pas le cas lors de la production du film. En effet, Marcel Aymé refusait tout d'abord que Bourvil endosse le rôle de Martin. Au regard du résultat, il révisa son jugement, considérant que l'adaptation de sa nouvelle était remarquable, malgré une fin fort différente de celle qu'il avait écrit. En dépit d'un budget serré, qui imposa le tournage en noir et blanc (le film fut colorisé en 1994) et en intérieur, c'est le succès qui accueillit "La Traversée De Paris" lors de sa sortie.
Pour la petite histoire, à la fin de sa carrière, Claude Autant-Lara réalisa un presque-remake de ce grand film, "Les Patates" (avec Pierre Perret dans le rôle principal). Sans avoir la virulence de "La Traversée De Paris".
Le parcours personnel du réalisateur est plus surprenant: après avoir mis en scène ce grand classique du cinéma français (et d'autres), plein de cynisme avant l'heure, voire d'anarchisme, Claude Autant-Lara s'engagea en politique, aux côtés du Front National et fut même poursuivi pour "injures raciales, diffamation raciale et incitation à la haine raciale" et du quitter son siège de sénateur européen, ainsi que celui qu'il tenait à l'Académie des Beaux-Arts. Les "errements de la fin de vie" de Claude Autant-Lara (comme l’écrivit Francis Girod) entachèrent (hélas) à jamais la carrière de celui qui fut, avant ses déclarations polémiques, auteur de grands films.
Remerciements à Unifrance (MYFFF) & Laurent avec "Deuxième Séance" (http://deuxiemeseance.over-blog.com)
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