Planète Cinéphile

Cette semaine

L'AUTRE SORTIE DE LA SEMAINE : "GABRIELLE"

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Plus que la quantité, c'est bel et bien la qualité qui est au rendez-vous cette semaine dans les salles avec, "L'Extravagant Voyage Du Jeune Et Prodigieux T.S. Spivet" de Jean-Pierre Jeunet, "9 Mois Ferme" d'Albert Dupontel (lire la critique), "Turbo" de David Soren, "Au Bonheur Des Ogres" de Nicolas Bary et " Gabrielle" de Louise Archambault,  Grand Prix Cinéma "Elle" 2013. "Planète Cinéphile" vous propose l'interview avec la réalisatrice québecoise.

 

 

 

Comment est née "Gabrielle" ?

Louise Archambault : "À l’origine, il y avait le désir de parler du bonheur, de celui des gens que l’on considère en marge de la société, des « invisibles » en quelque sorte, et de la force que peut leur procurer les arts comme la musique, particulièrement le chant choral. Puis, il y avait aussi cette envie de montrer une histoire d’amour entre deux jeunes adultes handicapés intellectuellement : comment ils vivent leur amour et leur sexualité, comment cet éveil amoureux provoque soudainement chez eux un besoin d’indépendance et une quête d’autonomie.

Un des éléments déclencheurs a été un reportage de l’émission Enjeux sur une famille d’accueil pour déficients intellectuels (Une famille particulière, diffusé à Radio-Canada en 2004). J’ai eu un véritable coup de cœur pour l’intervenant Jean-Martin Lefebvre-Rivest de qui je me suis inspirée pour créer le personnage de Laurent interprété par le comédien Benoit Gouin. J’ai donc approché Jean-Martin en lui parlant de mon projet de film. On s’est vus régulièrement : j’ai passé du temps dans sa résidence afin de côtoyer son quotidien et celui des déficients intellectuels, puis il m’a fait connaître quelques organismes œuvrant dans ce milieu. Entre autres, il m’a initiée à la fameuse danse du vendredi soir où deux cent adultes atteints d’un handicap se retrouvent chaque semaine – c’est d’ailleurs là où on a tourné la scène du karaoké et de la danse dans le film, avec la vraie foule d’habitués. À mon avis, une grande qualité de Jean-Martin est qu’il n’infantilise pas les personnes handicapées. Il essaie plutôt de leur donner des outils afin de développer leur potentiel et faciliter leur intégration à la société. Il tient par exemple à organiser des sorties à l'extérieur de la ville ou encore il s'assure de donner des responsabilités quotidiennes à chaque résident, ce qui aide à diminuer leurs crises et leurs angoisses. Bref, j’ai eu cette envie de partager la réalité singulière de Jean-Martin et de ses résidents.

Pendant la recherche, plusieurs personnes atteintes de déficience intellectuelle m’ont inspirée, tout comme l’organisme Jeunes musiciens du monde (où on a d'ailleurs tourné quelques scènes à leur école en Inde) et aussi certaines chorales à vocation sociale soutenues par diverses ONG à travers le monde. C’est aussi mes rencontres avec des musicothérapeutes et diverses personnes qui travaillent avec les déficients intellectuels qui m’ont aidée à développer l'histoire et les personnages. Et puis j’avais ce souhait d’être juste, vraie. Ces témoignages m’ont beaucoup inspirée. Il restera certainement des traces de cette approche dans le développement de mon prochain film."

 

 

Comment êtes-vous arrivée à Gabrielle et à la chorale des Muses que l’on voit dans le film ?


L.A. : "J’ai assisté à une pièce de théâtre de la compagnie Joe Jack et John dans laquelle jouait un handicapé intellectuel (Michael Nimbley, qui tient le rôle d'un résident dans le film). J'ai découvert qu'il faisait partie des Muses, un centre des arts de la scène qui offre une formation professionnelle de chant, de danse et de théâtre à des personnes vivant avec un handicap comme la déficience intellectuelle, les troubles envahissants du développement ou des limitations physiques et sensorielles. On vise à faire d’eux des professionnels sans nier leurs limites. J’ai les ai côtoyés pendant plus d’un an, ce qui a guidé la réécriture de mon scénario. Ce fut un véritable coup de foudre. À travers cette rencontre, j’ai vu le film que je voulais faire. Non seulement ils sont dans le moment présent, mais leur volonté est impressionnante à voir. C’est un bonheur de côtoyer ces élèves. Ils m’impressionnent par leur constante énergie, leur talent et leur imagination. J’ai surtout eu un coup de cœur pour Gabrielle Marion-Rivard. Sa luminosité, son charisme, son authenticité ont fait en sorte que j’ai aussitôt eu envie de la suivre."


 

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Votre façon de tourner s’apparente parfois au documentaire. Cette quête de vérité, qu’elle s’exprime dans le choix de Gabrielle, de la chorale, la participation de Robert Charlebois ou le tournage en Inde, semble être l’une des clés du film.


L.A. : "C’était mon souhait, afin de rester dans la vérité, l’authenticité. Cela se traduisait également dans notre façon de tourner. On a donc beaucoup travaillé en plans-séquences, en se gardant le loisir au montage de pouvoir les entrecouper ensemble afin de garder les meilleurs moments. J’ai compris que l’imperfection participerait à la beauté du film. Je voulais également aller vers un film intimiste, sensoriel, qui resterait près de Gabrielle et Martin, et de chacun des choristes. Ce n’est qu’à la fin de la dernière journée de tournage que j’ai réalisé l’ampleur du projet, et tous les risques qu’il comportait. Les producteurs ont eu du flair et du courage quand ils ont accepté de se lancer dans pareille aventure !

On a travaillé dans la spontanéité à plusieurs moments, par exemple quand le chanteur Robert Charlebois arrive dans la classe. Le groupe savait qu’il allait venir, mais ignorait à quel moment de la journée. J’ai filmé leur vraie rencontre de sorte que le spectateur partage leurs réactions, et du coup, Robert ne pouvait qu’être avec eux, dans l’instant présent, et non dans un personnage de fiction.

Pour le tournage en Inde, nous avions d’abord envisagé de recréer un décor avec une équipe complète, puis nous avons constaté qu’il ne coûtait pas plus cher d’aller en Inde, à condition que ce soit en équipe réduite. C'est ainsi que Sébastien Ricard (qui interprète le personnage de Raphaël), une assistante et moi nous sommes retrouvés dans une région agricole pauvre de l’Inde, le Karnataka, où l'organisme Jeunes musiciens du monde tient pour les enfants démunis une école-pension spécialisée en musique traditionnelle indienne. Cette école, de laquelle je me suis réellement inspirée pendant l’écriture, ajoute sans contredit une valeur de production et une crédibilité aux images. Nous avons vécu avec les élèves dans des maisonnettes en bouses de vaches dans la jungle, avec peu d’électricité et sans eau courante. Que le comédien se trouve dans une vraie école, a fait toute la différence. Sébastien vivait vraiment quelque chose de fort avec ces enfants. Lorsqu’ils chantaient ensemble, l’émotion était réelle et palpable."

 

Que souhaitez-vous exprimer à travers ce film ?

 

L.A. : "Je voulais parler du besoin de liberté et d’autonomie des handicapés intellectuels dont le quotidien est en grande majorité géré par leur famille et les intervenants. Je souhaitais immiscer le spectateur dans leur quotidien afin de saluer leur force de caractère, et surtout, pour montrer combien ils ont les mêmes désirs et émotions que tout le monde. Qu'ils sont tous humains, et ordinaires. Je voulais que l’on se reconnaisse tous quelque part dans cette histoire. J’ai entre autres choisi la musique et le chant choral pour traduire ces besoins. La musique contribue à donner ce souffle, ce désir de s’ouvrir aux autres, ce désir d’aimer et d’être aimé. La musique, et particulièrement le chant choral, a ce grand pouvoir de rassembler les gens. Elle est universelle et nous atteint de marnière viscérale, non réfléchie. J’espère qu’on le ressent à travers ce film.

Puis il y avait aussi ce désir de partager une histoire d’amour. Une histoire entre deux handicapés intellectuels qui souhaitent s’aimer, découvrir leur intimité, faire l’amour sans contrainte. L’amour et la sexualité sont deux sujets rarement traités lorsqu’on parle des personnes souffrant de syndromes comme Gabrielle et Martin. Ces sujets sont encore tabous. Je veux ainsi inviter les gens à s’ouvrir à la différence, contribuer à son acceptation. On a tous nos différences, pour certains elles sont plus visibles physiquement. Tandis que nous, nous avons appris à camoufler nos failles. Mais fondamentalement, tout le monde veut vivre l’amour.

J’ai beaucoup appris en faisant ce film. J’ai eu le sentiment de vivre quelque chose de très grand qui allait me changer. L’absence de filtre des chanteurs des Muses m’a beaucoup touchée et inspirée. Que ce soit positif ou négatif, on sait que ce qu’ils expriment est vrai. Et je crois qu’à l’inverse, l’expérience a également été bénéfique pour les acteurs, les techniciens et les comédiens non-professionnels. Certains des choristes des Muses sont très anxieux et peuvent faire des crises de panique tous les jours. À la mi-tournage, l’une des intervenantes engagée pour les encadrer sur le plateau est venue me voir pour me dire qu’on n’avait plus besoin de ses services : pas de crises, pas d’angoisse. Ils étaient heureux, ils avaient enfin un rôle précis et important à jouer, ils avaient une estime d’eux-mêmes. Je l’ai reçu comme un immense cadeau. Car l’intention ultime était justement de faire un film avec eux, avec leur complicité.

Au final, si je peux contribuer à faire connaître les organismes qui m’ont inspirée tout au long de ce projet, comme les Muses, les Jeunes musiciens du monde, les Compagnons de Montréal et la Gang à Rambrou, je serais comblée. Ce sont eux les stars. Ils méritent d’avoir les projecteurs sur eux. Ce qu’ils font pour notre société, toujours avec des bouts de ficelle, est énorme ... chaque jour, un petit pas pour l’Homme, un grand pas pour l’humanité."

 

 

Synopsis : "Gabrielle et Martin tombent fous amoureux l'un de l'autre. Mais leur entourage ne leur permet pas de vivre cet amour comme ils l'entendent car Gabrielle et Martin ne sont pas tout à fait comme les autres. Déterminés, ils devront affronter les préjugés pour espérer vivre une histoire d'amour qui n’a rien d’ordinaire."

 

Sortie (France) : 16 Octobre 2013 

 

 

 

Courtesy of Haut Et Court (Propos recueillis par Michel Coulombe)

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