10 Septembre 2014
En cette première semaine post-Rentrée, alors que les chiffres de la fréquentation française au mois d'Août sont en hausse de 33,3% à 19,83 millions d’entrées contre 14,88 millions d’entrées un an plus tôt (chiffres CNC), "Planète Cinéphile" vous propose de découvrir les nouvelles sorties cinématographiques de ce Mercredi. Au programme "L'Institutrice" de Nadav Lapid, "Les Recettes Du Bonheur" de Lasse Hallstrom, "Sex Tape" de Jake Kasdan, "Mademoiselle Julie" de Liv Ullmann, "Near Death Experience" de Gustave Kervern & Benoît Delépine, le documentaire "Les Gens Du Monde" de Yves Jeuland, la ressortie de "Macbeth" de Orson Welles, sans oublier le nouveau long métrage d'Anne Fontaine, "Gemma Bovery", avec dans les rôles principaux Gemma Arterton & Fabrice Luchini. Interview de la scénariste et réalisatrice.
Comment avez-vous découvert le roman graphique de Posy Simmonds ?
Anne Fontaine: "Je connaissais Posy Simmonds à travers Tamara Drewe, et j’ai tout de suite ressenti un a priori favorable pour un roman intitulé Gemma Bovery : le jeu de mot sur un archétype littéraire féminin détourné me semblait prometteur et ludique. Quand j’ai lu le roman, les personnages m’ont intriguée et touchée : j’ai senti leur potentiel comique et leur profondeur humaine, et j’ai été séduite par le ton de l’auteur, entre comédie féroce et formidable ironie. J’ai aussi été sensible à la rencontre improbable entre un boulanger et cette jeune Anglaise d’aujourd’hui qui va infléchir la vie du protagoniste, alors que celui-ci, convaincu que sa libido était sous contrôle, se croyait en préretraite sexuelle et affective ! Le voilà qui part en vrille sur le rapport entre un personnage de fiction – Emma Bovary – et Gemma Bovery. Ce côté fétichiste m’a semblé extrêmement séduisant pour un futur scénario. J’ai essayé d’être fidèle au livre, tout en prenant des libertés : chez Posy Simmonds, Joubert, le narrateur, intervient assez indirectement dans l’histoire, alors que dans le film, on lui a donné une incarnation et une mobilité plus grandes."
Vous avez coécrit le scénario avec Pascal Bonitzer et Posy Simmonds.
A.F.: "Ce qui m’a frappée dans le ton de Posy Simmonds, c’est qu’il fallait avoir un sens aigu de la comédie car il y a un côté «Woody Allen français» chez ce boulanger dépressif, dont la fantaisie et la singularité suscitent de la drôlerie. En rencontrant Pascal, je me suis dit que son sens de l’humour était mêlé de désespoir, lorsqu’il fait parler un personnage : pour moi, ces deux aspects sont indissociables. Le personnage de Joubert vit par procuration un amour allant crescendo pour une fille d’une incroyable sensualité – qui ne le regarde pas comme un homme désirable, mais comme un boulanger... J’ai pensé que le ton, et l’esprit étaient essentiels pour exprimer la drôlerie de ces décalages. Dès qu’on a commencé à écrire, Pascal et moi avons vite développé une empathie commune pour le sujet, puis on a intégré Posy à l’équipe pour les dialogues anglais. C’était une collaboration précieuse car, parfois, on la «trahissait» et quand on lui en parlait, elle avait la souplesse d’accueillir favorablement nos propositions. C’était donc intéressant d’avoir ses réactions par rapport à des situations qu’on inventait et qui s’inspiraient certes de l’histoire initiale, mais qui ne collaient pas forcément à la BD. Par exemple, on a compris que, pour le film, il fallait que la narration soit plus immédiate et plus directe que celle du roman graphique, par nature plus littéraire."
On pourrait croire que le personnage de Martin a été bâti sur mesure pour Fabrice Luchini ...
A.F.: "Et pourtant, il a été imaginé par une Anglaise ! Mais quand j’ai lu le roman graphique, j’y ai immédiatement superposé Fabrice Luchini, pas seulement en tant qu’interprète, mais comme un être qui a Flaubert dans le sang, au plus profond de lui. Étant donné que je le connais bien, et que je l’ai si souvent entendu parler de Madame Bovary de manière incarnée, j’ai eu le sentiment que ce rôle n’attendait que lui. J’ai donc écrit le scénario en me disant qu’il y avait une probabilité assez forte pour que le personnage lui plaise, et pour qu’il soit touché, tout comme moi, par cet obsessionnel littéraire, menant une vie tranquille de boulanger jusqu’à ce qu’une rencontre fantasmée transforme sa propre réalité. C’était formidable d’avoir un acteur tel que Fabrice car il a le sens de la fantaisie et du décalage, mais aussi le plaisir et l’amour des mots – ce qui correspond au sujet même du film."
Le film dégage une extraordinaire sensualité.
A.F.: "J’ai pensé que l’érotisme, oblique et indirect, devait se trouver dans les paysages et l’atmosphère de la Normandie, mais aussi dans le métier de Martin : comme il le dit lui-même, masser le pain lui procure un grand calme – c’est son «yoga». Lorsqu’il initie Gemma au pétrin, et qu’elle est tout près de lui, il y a une forme d’érotisme très fort qui émane de son souffle et de ses gestes. J’aimais beaucoup l’idée de cette fabrication artisanale qui tranche avec une cérébralité très active : le pain a réconcilié Martin avec quelque chose de l’ordre de la nature après une carrière intellectuelle peu brillante. Comme les deux personnages n’ont pas une relation sensuelle directe, il fallait qu’on perçoive la sensualité par ailleurs."
La lumière est chaude et caressante. Comment avez-vous travaillé avec le chef-opérateur Christophe Beaucarne ?
A.F.: "C’est le troisième film que je tourne avec lui, après Coco avant Chanel et Perfect Mothers. C’est donc un collaborateur important pour moi. On avait défini une lumière enveloppante et chaleureuse, sans tomber dans un académisme trop lisse. On voulait un éclairage naturel et sublimé, afin qu’il y ait de la vérité, mais qu’elle soit réinterprétée, par rapport aux émotions de chaque scène. Du coup, on a choisi de tourner à un moment de l’année où la campagne normande est la plus belle : c’était d’autant plus important de donner un côté solaire au film que le sujet a une certaine noirceur."
C’est la deuxième fois que vous travaillez avec Bruno Coulais après "Mon Pire Cauchemar".
A.F.: "J’ai pensé que ce serait intéressant d’alterner entre une mélodie anglaise, propre à Gemma, et une musique de film proprement dite. Avec Bruno, on a cherché une voix féminine pure et gracieuse et on a été séduit par celle du groupe Moriarty. De son côté, Bruno a composé la musique en amont pour trouver un ton particulier, à la fois tonique et ironique, sans être psychologisant ou romantique. Ce qui m’a plu, c’est qu’il s’agit d’une partition qui va de l’avant, mais qui n’est ni figurative, ni redondante par rapport à l’action. C’est un vrai plaisir de travailler avec Bruno, qui sait se montrer très souple sans renoncer à son univers propre."
Courtesy of Gaumont Distribution
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