26 Février 2018
Le 14 mars prochain, Carlotta Films proposera aux cinéphiles une ressortie en salle - en version restaurée (2K) - trois oeuvres précieuses du cinéaste Jacques Rivette: "Duelle" (1976), "Noroît" (1976) et "Merry-Go-Round" (1981).
« Il y a eu une période d’une dizaine d’années entre les films Out 1 et Merry-Go-Round, où je n’avais plus envie de faire des films qui soient directement ou indirectement en prise avec la réalité sociologique de la France de cette époque, celle des années 1970. Je crois que je n’étais pas le seul. Dans l’après-1968, il y a eu d’une part des gens qui ont plongé dans les différents mouvements gauchistes ou d’extrême droite, et d’autre part des personnes ayant eu une réaction de désintérêt – comme moi, qui n’avais pas envie d’en parler dans mes films. Céline et Julie vont en bateau, Duelle, Noroît, Merry-Go-Round, ce sont des films qui flirtent davantage avec la fiction, avec l’envie d’aller dans des directions décollant du réalisme. C’était l’idée de laisser la fiction plus libre d’elle-même par rapport au contexte réaliste, social, de l’époque. » Jacques Rivette
Au début des années 1970, Jacques Rivette se lance dans la réalisation de films fleuve: "Out 1: noli me tangere", œuvre totale de douze heures quarante, et sa version « courte » de quatre heures et demie, "Out 1: Spectre", puis Céline et Julie vont en bateau de trois heures et quart. En 1975, le cinéaste décide de tourner une tétralogie intitulée « Les Filles du feu », titre emprunté à Gérard de Nerval finalement abandonné au profit de celui plus balzacien de « Scènes de la vie parallèle », en particulier de L’Histoire des Treize: « Ils avaient les pieds dans tous les salons, la tête sur tous les oreillers, les bras dans tous les coffres » (citation de Balzac).
Pour filmer ces histoires influencées par la mythologie et centrées autour de personnages féminins forts, il opte pour une nouvelle méthode: les quatre films doivent être tournés en continuité et s’enchaîner les uns les autres, le montage débutant seulement à la toute fin. Pour des raisons pratiques, l’ordre de tournage est bousculé: 2, 3, 1, 4. Rivette s’attaque donc aux opus 2 et 3, Duelle et Noroît, entre mars et mai 1975. C’est lors du 3e tournage, une histoire d’amour entre un mortel et un fantôme, respectivement interprétés par Albert Finney et Leslie Caron, que le cinéaste interrompt le tournage, non pas pour des raisons physiques et psychologiques, comme il a été dit ici ou là, mais pour des raisons qui restent inexpliquées.
Abandonnant là son projet de tétralogie – le dernier film devait être une comédie musicale avec Anna Karina dans le rôle principal. Deux ans plus tard, suite à sa rencontre avec l’actrice Maria Schneider avec laquelle il avait envie de tourner, Jacques Rivette complète la série des « Filles du feu » avec "Merry-Go-Round". Une fois le point de départ de l’histoire trouvé, Rivette rassemble son équipe et commence le tournage dans un ordre chronologique à mesure du développement de l’intrigue. Finalement, des problèmes de décors vont le forcer à abandonner la chronologie et le tournage sous forme de work in progress s’avérera beaucoup plus long et usant que prévu pour son réalisateur. Achevé fin 1977, le film sortira dans les salles françaises quelques années plus tard, au début des années 1980.
"Merry-Go-Round" clôture le cycle « Scènes de la vie parallèle ». Le film est en résonance avec l’univers de magie surréaliste et de rêve qui caractérise les deux longs-métrages précédents, comme l’utilisation de la musique improvisée – même si les musiciens jazz de "Merry-Go-Round" n’ont été intégrés qu’au montage et non filmés avec les acteurs comme c’est le cas dans Duelle et Noroît. Mais c’est aussi sur leur volonté de s’abstraire de toute réalité sociologique que ces trois longs-métrages se rejoignent. Rivette préfère aux expérimentations des années 1970 jouer sur des variations de ses thèmes de prédilection (les complots, la fiction dans la fiction, l’importance de l’improvisation). Quasiment invisibles en salles depuis quarante ans, splendidement restaurés en 2K, "Duelle", "Noroît" et "Merry-Go-Round" forment des parenthèses enchantées dans un contexte sociopolitique désillusionné après l’euphorie de Mai 68.
Courtesy of Carlotta Films & INA
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