28 Octobre 2015
A deux semaines de la sortie des prochaines aventures de notre agent anglais au permis de tuer, on a la joie de patienter avec de très beaux films contemporains. Cette semaine dans les salles, on retrouve avec plaisir le nouveau film d'Hirokazu Kore-Eda, "Notre Petite Soeur", bluffant d'émotion, et le très conceptuel film de Yorgos Lanthimos ("The Lobster"). A noter également l'étonnante interprétation d'Emma Watson dans "Regression" d'Alejandro Amenabar et le magnifique portrait du Chili que dresse Patricio Guzman dans "Le Bouton De Nacre".
"Notre Petite Soeur", est le nouveau film d’Hirokazu Kore-Eda (Haruka Ayase, Masami Nagasawa, Kaho). C’est la révélation de cette semaine. Trois soeurs vivant ensemble dans la maison de leur grand-mère voient leurs vies bouleversées par l'irruption de leur demie-soeur. Après le remarquable "Tel Père, Tel Fils" Kore-Eda explore - encore une fois - la nature des liens du sang. Dans cette histoire adaptée d’un manga, ce sont des héroïnes qui portent le film. Ces femmes, douces, tendres, et dures, accueillent une nouvelle venue dans le cercle familial. Le film s’ouvre et se termine sur la mort. De cette manière Koreeda reproduit avec l'enterrement une ambiance très anxiogène, puisqu’un un fantôme hante le cercle (le père des héroïnes), et met ses personnages en état de fragilité (la sœur aînée travaille dans un hôpital, un personnage secondaire tombe malade…). L’effet de surprise étant passé, le réalisateur ne pourra pas briguer un nouveau prix du jury avec ce film… Et pourtant, c’est encore une très belle production (voir notre critique ici).
"Trois Voiles", de Rolla Selbak (Sheetal Sheth, Angela Zahra, Mercedes Masöhn) raconte un chassé croisé amoureux de trois femmes musulmanes: Leila, Amira, et Nikki qui fréquentent la même université américaine. Chaque fille se retrouve à lutter contre la famille, la tradition et la foi, pour trouver l'amour et créer sa propre réalité. "Chu & Blossom" de Charles Chu et Gavin Kelly (Charles Chu, Ryan O'Nan, Alan Cumming) est un film américain qui raconte l’histoire de Joon Chu, étudiant coréen à l’anglais hésitant, qui se retrouve coincé dans une petite ville américaine où il est entraîné dans la folie douce de Butch Blossom, un artiste non-conformiste et visionnaire. Ensemble, Joon et Butch trouvent un nouvel élan de créativité pour s'ouvrir au monde. La confrontation des deux hommes est à la fois artistique, culturelle et personnelle.
Encore une quête familiale avec la recherche du père dans "Little Gay Boy" d’Antony Hickling (Gaëtan Vettier, Amanda Dawson, Manuel Blanc), un long-métrage aux accents autobiographiques, qui mérite qu’on s’y attarde pour sa bizarrerie. C’est le périple de Jean-Christophe, de sa naissance à sa renaissance. Né d’une mère prostituée – que nous suivons l’espace d’un instant – et d’un père absent, Jean Christophe, adolescent, expérimente sa sexualité et pousse les limites de son identité jusqu’au jour où il rencontre, finalement, ce père fantasmé. Trois chapitres, soit en réalité trois petits courts-métrages qui ne forment qu’une même histoire, au bout de laquelle le héros principal se dirige vers son destin. Très riche visuellement, le film explore aussi sur le fond la quête du mythe religieux, à découvrir "L'Annonciation", "Christ Is Dead", "Holy Thursday".
Un peu d’humour avec le nouveau film de Julie Delpy, qui ne fait pas non plus dans légèreté. "Lolo" (Dany Boon, Julie Delpy, Vincent Lacoste) est une comédie romantique. En thalasso à Biarritz avec sa meilleure amie, Violette, quadra parisienne travaillant dans la mode, rencontre Jean-René, un modeste informaticien fraîchement divorcé. Après des années de solitude, elle se laisse séduire. La réalisatrice reste dans le même genre de film mais elle change radicalement de ton. En vertu de la simplicité de forme et de fond, volontairement affichée de ses précédents: "Two Days In Paris", Two Days In New-York", "Lolo" paraît tomber dans la lourdeur du comique de situation avec des dialogues trop écrits et des personnages niais auxquels on a beaucoup de mal à s’attacher. Dany Boon, excelle comme toujours dans le rôle du benêt. Quelques bons points sont remis toutefois à Vincent Lacoste ("Les Beaux Gosses") pour sa prestation d’ado rebelle, mal luné et infernal, et c’est la seule brise du film. Afin de servir, un humour potache, les conversations entres filles de Karin Viard et Julie Delpy, sont toutefois irrésistibles de drôlerie, et alignent quelques clichés notamment sur les différences entre Paris et la province, quoique parfois à la limite de la vulgarité. Cet humour cotonneux ne suffit pas à élever le film au niveau de ses prédécesseurs. Bilan de l’élève Delpy: « peut mieux faire ! ».
A l’opposé de l'humour frivole de "Lolo", le réalisateur grec, Yorgos Lanthimos, prend très à coeur la question du célibat ! Il signe un film de science-fiction avec un humour à prendre au sixième degré. "The Lobster" (Léa Seydoux, Colin Farrell, Rachel Weisz, Jessica Barden) nous amène dans un futur proche… Toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l’Hôtel et a quarante-cinq jours pour trouver l’âme soeur. Passé ce délai, il sera transformé en l'animal de son choix. Pour échapper à ce destin, un homme s'enfuit et rejoint dans les bois un groupe de résistants; les Solitaires. Entièrement filmé en lumière naturelle et sans maquillage, mise à part les scènes de nuit, le réalisateur laisse ses comédiens s’exprimer et évoluer librement. Prenant prétexte d’un monde totalement imaginaire voire magique, dans lequel les êtres doivent se conformer à une sorte de diktat de l’amour, sous peine d’être punis par une puissance omnisciente, le réalisateur exprime le drame de la solitude (un mal de notre siècle ?). En compétition officielle au Festival de Cannes en 2015, le film a remporté le Prix du Jury. De la part de Yorgos Lanthimos lui-même, chaque spectateur a lui aussi la possibilité de livre sa propre interprétation de l’histoire. Les personnages livrent très peu d’informations sur leur passé et le réalisateur confesse avoir préféré filmer des instants présents d’amour, parfois légèrement improvisés, plutôt que de faire un film très orchestré (voir notre critique ici).
Autre univers fictionnel très imagé, Breck Eisner essaye avec grande peine de nous plonger dans le domaine de la magie, avec "Le Dernier Chasseur De Sorcières" (Vin Diesel, Rose Leslie, Elijah Wood). Un chasseur de sorcières immortel fait équipe avec son meilleur ennemi pour empêcher le sabbat de New York de libérer la peste sur le monde... Bruno Mercier nous livre un vrai film du genre thriller malgré la modestie de ses moyens (tournage d'une journée, petit budget). "Paranoia Park" (Audrey Beaulieu, Jean-Yves R Lemoine, Fany Mercier) met en scène un psychopathe qui œuvre par téléphone. Le thème n’a rien de nouveau. Le criminel force une mère à exécuter des actions dangereuses dans un parc public, alors qu'il vient de kidnapper sa fille. Le chrono démarre: elle a une heure pour la sauver... pas une minute de plus.
Patricio Guzman fait un film sur son pays dans "Le Bouton De Nacre". Après avoir relaté les troubles politiques qui ont malmené son patrie chilienne, dans sa trilogie, "La Bataille Du Chili", "Le Cas Pinochet", "Salvador Allende", il décide de parler de sa terre de naissance. Malgré une vie d'exil depuis le coup d'Etat de Pinochet de 1973, il filme son pays meurtri. Ici, l'eau a été un élément de vie oublié par les habitants, tout comme la mémoire collective tente d'effacer la barbarie des crimes commis contre des civils pendant la dictature d'Allende. Deux boutons de nacre sont découverts au fond de l'Océan Pacifique au large des côtes. Le Chili doit progresser vers la modernité sans perdre de vue son devoir de mémoire. Le film est porté par une très belle poésie, alternant des images commentées par une voix-off et des intervenants…
Philippe Aractingi décide de faire un film sur son pays, le Liban, qu'il a quitté en Juillet 2006 au moment de la guerre avec Israël. A l'aide d'archives et de son vécu personnel, il croise la grande histoire collective avec celle de sa famille. L'histoire de ce pays, balayé par les guerres et les massacres depuis une vingtaine d'années, est à découvrir dans "Héritages". Dans "Le Caravage", Alain Cavalier ne réalise pas un biopic mais filme, caméra à la main, son vécu quotidien, celui de parler avec Caravage, son cheval préféré. Alain Cavalier, 84 ans, avait pourtant dit adieu au cinéma, et il revient avec un film ultra-intime et sans mise en scène.
Robert Zemeckis nous donne des vertiges avec "The Walk – Rêver Plus Haut" (Joseph Gordon-Levitt, Ben Kingsley, Charlotte Le Bon) qui est un biopic sur le funambule français Philippe Petit, célèbre pour avoir joint en 1974 les deux tours du World Trade Center sur un fil, suspendu au-dessus du vide (voir notre critique ici). Autre biopic, Curro Sánchez rend un dernier hommage à "Paco De Lucía", dans son film éponyme, légende du flamenco (Paco de Lucía, Pepe de Lucía, Rubén Blades), disparu en 2014. Réalisé par son fils, ce documentaire retrace l'incroyable destin d'un guitariste et compositeur hors-norme, qui a fait du flamenco une musique universelle. Enfin on termine, avec le thriller "Regression" d’ Alejandro Amenábar (Emma Watson, Ethan Hawke, David Thewlis). Dans le Minnesota, en 1990, l'inspecteur Bruce Kenner enquête sur un crime révoltant dont la jeune Angela accuse son père, John Gray. Lorsque John avoue sa culpabilité de façon tout à fait inattendue et sans garder le moindre souvenir des faits, le docteur Raines, un célèbre psychologue, est appelé à la rescousse. Emma Watson y est bluffante.
Bonne semaine cinéphile à tous !
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